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Décennie après décennie, les économistes néo-libéraux ont enseigné et asséné les lois de l’économie de marché, les bienfaits de la concurrence, les bonheurs de la mondialisation, la nécessité de l’équilibre budgétaire et la belle morale de l’État modeste. Ils auraient mieux fait d’importer la modestie dans leur propre discipline, qui est seulement d’intention scientifique, et de réfléchir sur l’incertitude.
L’idéologie du Marché est depuis longtemps récusée par la théorie et en pratique mais c’est un « presque rien » viral, invisible et inattendu, qui désorganise l’économie mondialisée et démontre l’inefficience du système. Survenue en Chine, observée de loin par les gouvernements européens et par « les marchés » financiers, l’épidémie de Coronavirus a provoqué l’inquiétude générale lorsqu’elle a gagné l’Italie, avant de toucher la France.
Comme d'habitude, nos grands médias se sont ingéniés à créer la panique tandis que l'Élysée et Matignon décrétaient la mobilisation. Comme d’habitude, la « gouvernance » compte sur le dévouement des personnels de la santé publique, oubliant qu’elle les a maltraités et continue de le faire, oubliant qu’elle est en train de détruire l’hôpital public.
Nous avons connu une situation identique au moment des grands attentats, lorsque les médias cultivaient la peur, lorsque l’oligarchie mobilisait les policiers et les soldats sans se soucier des conditions dans lesquelles ils assuraient leur service. C’est à cette époque, en 2015, que le gouvernement décida de « faire des économies » en fermant l’hôpital militaire du Val-de-Grâce – comme s’il était exclu qu’une campagne d’attentats puisse faire des centaines de blessés. Par la suite, on a continué à fermer des lits partout en France. Mais il est vrai que la « gouvernance » peut aujourd’hui compter sur les compétences et sur le dévouement de l’ensemble des fonctionnaires pour enrayer l’épidémie et compenser, par leurs sacrifices, la réduction de leurs moyens.
L’Élysée et Matignon ne pourront pas compter sur le sens du service public pour réduire les effets désastreux que le Covid-19 provoque dans les circuits économiques et dans la machinerie financière. Très fortes baisses boursières, baisse du prix des matières premières, baisse considérable de l'activité économique en Chine ! Les élites occidentales ont célébré la Chine comme « l’atelier du monde », mais si ce pays, qui représente aujourd'hui 20% du PIB mondial, ne peut plus fabriquer les médicaments et les pièces détachées qui nous sont indispensables, s’il cesse de nous acheter des biens et des services – notamment touristiques – il est clair que les économies des principaux États européens vont être désorganisées. L’épreuve est redoutable. Les économies française et italienne subissent les effets désastreux de la « monnaie unique », l’économie allemande est entrée dans une crise structurelle et la crise économique va se développer dans un environnement financier follement spéculatif qui est exposé à des paniques catastrophiques.
Il faut bien entendu souhaiter la victoire des services de santé sur l’épidémie et le redémarrage des activités économiques aujourd’hui arrêtées. Mais il n’y aura pas de retour à la normale sur le marché mondialisé, parce que le processus de démondialisation était amorcé bien avant le début de l’épidémie(1). Il faut ajouter que les professeurs et autres experts néo-libéraux sont incapables de rénover le système en faillite parce que leur théorie est en ruine, qu’il s’agisse de l’austérité, de la croissance par les « réformes structurelles » ou des thèses sur le taux d’intérêt et l’épargne(2). Quant aux conséquences pratiques de ces théories, elles ont tant meurtri les peuples qu’ils se révoltent par la voie des urnes ou dans la rue et qu’ils refuseront le retour à l’ordre injuste des choses.
Si nous avions un chef de l’État, il ne perdrait pas son temps à jouer les mouches du coche sanitaire. S’adressant à la nation, il dirait que nous sommes dans des circonstances exceptionnelles et qu’il faut désormais agir autrement en s’appuyant à la fois sur les institutions politiques et sur l’énergie du peuple français. Citant François Perroux, il reprendrait les trois injonctions qu’il avait formulées : « Nourrir les hommes, soigner les hommes, libérer les esclaves »(3), en précisant que cela vaut pour la France et pour le monde confrontés à l’urgence écologique. Puis il proclamerait la nécessité, pour notre pays, de la souveraineté alimentaire, pharmaceutique, industrielle, numérique, en mobilisant tous les moyens de l’État, sans se soucier de l’équilibre des finances publiques et en préparant une sortie concertée de la zone euro.
Si nous avions un chef de l’État, les tâches collectives seraient rudes, mais nous pourrions jour après jour réduire les incertitudes et coopérer avec les autres nations dans l'indépendance retrouvée.
Bertrand Renouvin
Cf. Jacques Sapir : « Vers une transformation majeure de l'économie mondialisée ? », RussEurope-en-Exil, 1er février 2020.
Cf. la chronique d’Olivier Passet sur Xerfi Canal, 5 mars 2020. (3). Sur François Perroux : http://www.bertrand-renouvin.fr/penser-faire-une-revolution-mondiale/