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Editorial | La Nouvelle Action Royaliste

Allemagne : la fin des illusions

Editorial du magazine royaliste N°1241 | du 10 octobre 2022 au 23 octobre 2022
lundi 10 octobre 2022 | Thème: politique
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Il y a quatre ans, Coralie Delaume publiait un ouvrage dont l'intitulé sonnait comme une provocation : Le couple franco-allemand n'existe pas. Comment l'Europe est devenue allemande et pourquoi ça ne durera pas. Emportée par la maladie en décembre 2020, Coralie n'a pas pu vérifier la pertinence de sa prévision.

Le faux couple, où chacun cultivait de son côté les vertus illusoires d'un modèle imaginaire, est aujourd'hui confronté à un échec flagrant. Effectivement, ça n'a pas duré. À Berlin, les donneurs de leçons sont confrontés à une inflation à deux chiffres et à la perspective de la récession d'une économie durement touchée par les pénuries.

Réputée pragmatique, la classe dirigeante allemande s'est ra- conté des histoires sur son passé, et les élites françaises ont eu la naïveté de croire que l'Allemagne s'était relevée de la guerre par les propres efforts d'un peuple travailleur et discipliné, guidé par des chefs éclairés. Or le dynamisme de la République fédérale est le résultat de tout autres facteurs: les pillages de l'armée allemande pendant la guerre, l'aide américaine, la sous-évaluation du mark, le quasi-effacement de la dette publique et l'absence de réparations envers les pays qu'elle avait occupés et martyrisés.

Réputée réaliste, la classe dirigeante allemande a construit, après l'absorption et le pillage de la RDA, un système mercantiliste qui ne pouvait durer très longtemps. On a vanté à Paris les mérites de l'industrie allemande comme si ses performances commerciales tenaient à la rigueur du patronat local et à la sagesse des syndicats. Il aurait fallu souligner, comme nous l'avons fait, les atouts constitués par le taux de change de l'euro, la faiblesse des salaires, la précarité sociale, les délocalisations dans les pays de l'Europe centrale et orientale, où la main-d'œuvre est froidement exploitée. On a vanté la rigueur budgétaire allemande en oubliant qu'elle avait pour conséquence la faiblesse des investissements publics qui entraîne le délabrement des équipements collectifs. On a vanté la prospérité financière et la robustesse de l'épargne nationale sans vouloir prendre garde à la fragilité des banques allemandes. Et nul ne s'est inquiété des approvisionnements massifs en gaz russe, puisque les libres[1]échanges commerciaux devaient nécessairement engendrer la prospérité et la paix.

Ce système bancal correspondait à l'idéologie de la classe dirigeante allemande et aux tares de celle-ci. Sous l'égide d'Angela Merkel, la bourgeoisie allemande imaginait une sortie de l'Histoire tout en reportant sur l'Union européenne la vieille conception du Reich allemand, qu'elle voulait unifier hors de la politique par la généralisation de normes allemandes. Car les thuriféraires du « couple franco-allemand » – inconnu outre[1]Rhin – ne voulaient pas admettre une vérité pourtant bien établie par les spécialistes du pays : nos amis allemands se voulaient les meilleurs des Européens parce qu'ils étaient persuadés que l'Europe fonctionnerait à l'allemande.

C'est bien ce qui s'est produit, par la voie de la constitutionnalisation des traités – que nous avions refusée en 2005 – et par la faiblesse des élites françaises, toujours soucieuses d'obtenir la confiance de Berlin. Mais les dirigeants allemands, bien appuyés sur le système allemand des normes qui imposent l'équilibre budgétaire, les bas salaires et la concurrence à tout-va, se sont occupés de la défense et de la promotion des intérêts allemands. Les opérations allemandes ont été menées au mépris de la pré- tendue solidarité européenne. C'est sans prévenir ses partenaires qu'Angela Merkel a décidé la sortie du nucléaire en 2011 et l'accueil de centaines de milliers de migrants.

Les opérations allemandes ont été menées au mépris des peuples de l'Union, et plus particulièrement du peuple grec. La réduction massive des dépenses publiques et la baisse inouïe des salaires et des retraites ont entraîné la paupérisation et le pillage du pays. La Grèce figure aujourd'hui parmi les plus pauvres États de l'Union, juste devant la Roumanie - avec une dette publique plus forte qu'en 2015. Les autres peuples de l'Europe du sud ont eux aussi souffert de la tutelle berlino-bruxelloise et le peuple allemand n'a pas été épargné : nous avions relevé en 2019 que la pauvreté touchait 16,5 % de la population.

C'est cet anti-modèle qui est en train de se disloquer sous nos yeux. L'Allemagne s'aperçoit que l'énergie est terriblement coûteuse quand le doux commerce du gaz devient l'enjeu de rapports de force internationaux. Son industrie manufacturière est aux abois et le gouvernement mesure les conséquences né- fastes du sous-équipement, découvrant, trop tard, la nécessité de construire des ports méthaniers. Les travailleurs sous-payés su- bissent la violence de l'inflation, et le chômage risque d'augmenter si les patrons mettent en œuvre leurs projets de délocalisation en Amérique latine.

 L'Allemagne vertueuse et consensuelle dans ses apparences, sûre d'elle-même mais souvent indécise et incohérente, n'a pas vu venir une crise qui couve depuis plusieurs années et dont la guerre russo-ukrainienne a révélé l'ampleur. Gardons-nous de lui donner à notre tour des leçons.