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Les centaines d’agressions sexuelles commises à Cologne dans la nuit du 31 décembre ont soulevé une vague d’indignation et d’inquiétude qui n’est pas retombée. Elles provoquent en France de vives polémiques : d’un côté les tenants de la « culture de l’excuse » prisée par une partie de la gauche ; de l’autre les xénophobes qui cultivent les réactions de rejet de tous les réfugiés.
La joute des angéliques et des cyniques fait perdre de vue les responsabilités politiques du gouvernement allemand. Berlin n’a pas anticipé la crise migratoire, dans sa généralité et dans ses conséquences locales. Tout Européen de l’Ouest qui a quelque peu voyagé dans les pays où la répression sexuelle est intense sait que le citadin bienveillant peut devenir hostile jusqu’à la violence s’il se joint à une foule énervée par la vue d’une femme pas assez emmitouflée. Les responsables de la police allemande auraient pu se douter que, dans l’excitation des soirs de fête, des groupes de réfugiés ou d’immigrés à tous égards frustrés risquaient de devenir violents. Ne savent-ils pas que ce type de comportement n’est pas propre aux hommes venus de l’Orient lointain ? Auraient-ils oublié que des dizaines de viols et d’innombrables agressions sexuelles ont lieu lors de la fête munichoise de la bière, qui se déroule entre Allemands dans une ville typiquement allemande ? Il ne s’agit pas d’excuser les viols des uns par les viols des autres ou de disserter sur les faiblesses humaines mais de souligner la responsabilité d’une police qui, faute d’anticipation, n’a pas su empêcher ou réprimer les délits commis à Cologne.
Cette défaillance policière est le signe d’une carence politique. En 2011, en 2012, en 2013, d’innombrables articles ont évoqué les naufrages d’embarcations de migrants en Méditerranée et la situation de plus en plus insupportable à laquelle étaient confrontés la population de Lampedusa et le gouvernement italien. Le 18 mars 2013, le pape François avait dénoncé l’indifférence du monde à l’égard des migrants mais le gouvernement allemand avait alors déclaré qu’il en faisait bien assez. La même année, maints reportages ont décrit l’arrivée de réfugiés syriens en Bulgarie et la saturation des centres d’accueil. Puis l’attention s’est portée sur les îles grecques proches de la Turquie, où arrivent des centaines de milliers de migrants que la population et les autorités grecques assommées par la troïka ne peuvent accueillir et orienter convenablement.
Face à ces pressions manifestes et de plus en plus insoutenables, l’Union européenne n’a pas eu de politique parce que l’Allemagne a décidé de ne rien faire pour remédier à une situation qui n’affectait que des pays du sud. Lorsque les migrants sont arrivés massivement en Europe de l’Ouest l’été dernier, Berlin a réagi en fonction des intérêts allemands et selon la vision d’un pays qui, depuis le XIXe siècle, tire une partie de sa puissance de l’exploitation quasi-coloniale de territoires proches et de populations importées plus ou moins volontairement. Après avoir importé des stocks de Grecs, d’Espagnols, de Portugais contraints à l’exil par les mesures d’austérité, elle a accueilli comme une bénédiction les migrants orientaux qui lui permettaient de combler son déficit de main-d’oeuvre à bon marché. Cette gestion des flux et des stocks a trouvé ses limites à Cologne le 31 décembre : les migrants ne sont pas seulement des agents économiques mais des êtres humains comme les autres, qui recèlent un potentiel de violence.
Tandis que « l’espace Schengen » se décompose, le gouvernement français s’aligne comme d’habitude sur Berlin qui mise sur la Turquie pour ralentir le flux migratoire. C’est, au mieux, un expédient. La politique austéritaire imposée par Berlin a placé l’Europe de l’Ouest dans un piège qui interdit toute résolution de la crise migratoire : la désindustrialisation de plusieurs pays et la désertification de maints territoires empêchent l’accueil des migrants, et l’absence de tout « plan Marshall » pour les pays pauvres ou appauvris continue de pousser leurs populations à l’exil. La réponse à l’actuelle crise migratoire devrait être d’une ampleur telle que nous soyons en mesure d’assumer les crises à venir qui seront provoquées par les changements climatiques. Mais un gouvernement qui est impuissant à Calais ne saurait concevoir une révolution dans les relations économiques et financières entre les nations. Il nous laisse le choix entre la haine et la honte comme s’il était à l’abri de toute colère.
Bertrand RENOUVIN