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Samedi 19 octobre, 20 heures sur France 2. L’inaltérable Laurent Delahousse présente le Journal télévisé qui s’ouvre sur l’affaire Léonarda : 9 minutes et 53 secondes sont consacrées à la collégienne expulsée, avec un reportage en direct effectué au Kosovo par une équipe d’envoyés spéciaux. Après trois faits divers et plusieurs autres sujets, le présentateur annonce « en bref » la colère en Italie avec une mobilisation contre l’austérité marquée par « quelques échauffourées ». Nous avons droit à quelques images de la manifestation romaine qui s’enchaînent avec celles d’un autre événement : « à noter aussi » une importante manifestation contre l’austérité à Lisbonne, présentée en quelques secondes. L’ensemble de ces protestations est expédié à la vingt-cinquième minute du Journal, en vingt secondes, alors que les incendies en Australie sont traités en une minute et demie.
Interpellé sur sa conception de l’information, Laurent Delahousse répondrait que l’actualité commande et qu’il n’y avait ce soir-là pas plus de temps à consacrer aux colères italiennes et portugaises. J’ai donc rédigé à son intention quatre brèves qu’il pourra lire en trois minutes sur son écran s’il veut donner aux citoyens ce qu’appelle modestement, à la télévision, des éléments de réponse.
Italie. Le gouvernement Letta prévoit une contraction du Produit intérieur brut de 1,7% en 2013, pire que les 1,3% qui étaient prévus. Au mois d’août, le chômage atteignait le taux record de 12,2% de la population active. Les entreprises souffrent de la faiblesse de la demande, des restrictions de crédits bancaires et du blocage des sommes dues par l’Etat. L’investissement s’est effondré et la production industrielle a reculé de 10% en deux ans. L’année prochaine, la dette italienne devrait représenter 132,8% du PIB. Illustration : une pigiste italienne en reportage à Alep risque sa vie à chaque instant. Elle montre sa feuille de paie : 70 dollars pour un article (1).
Portugal. La Troïka impose une réduction du déficit public de 5,5% cette année à 4% l’année prochaine, ce qui suppose de nouvelles mesures d’austérité dans un pays qui connaît une brutale contraction du pouvoir d’achat (- 4,2% au premier trimestre 2013) provoquée par la baisse des salaires. Le Portugal est affecté depuis trois ans par une récession sévère, qui porte le taux de chômage à 16, 4% de la population active. La dette publique représente 125% du PIB. Illustration : un chômeur portugais montre la lettre de l’administration lui ordonnant de rembourser, dans les 30 jours, 6% de son allocation de chômage.
Espagne. La récession se poursuit et le PIB devrait se situer aux alentours de - 1,3% en fin d’année avec un taux de chômage de 26,3%. La dette publique est en hausse : prévue à 94, 21% du PIB en 2013, elle serait de 98,86% pour 2014 et dépassera 100% en 2015. Le déficit budgétaire sera de 6,5% cette année. Les créances douteuses des banques espagnoles ont atteint un nouveau record en août : 12,12% du total des crédits. Illustration : un jeune diplômé espagnol commente une maxime qui fait fureur : «Si tu termines tes études en Espagne, tu as trois débouchés: par terre, par mer ou par air».
Grèce. Le pays (2) est dans sa sixième année de récession : - 4% du PIB. Le taux de chômage est de 27, 6% et atteint 55% pour les jeunes. La production industrielle est en baisse (- 8% sur un an). La dette publique dépassera les 160% cette année. Le déficit public, qui représente 2,4% du PIB, ne devrait pas baisser en 2014. Illustration : sur le port du Pirée, un couple négocie l’achat d’un beau bateau de plaisance. Il vaut 40 000 euros, il est proposé à 15 000 et vendu pour 10 000. Le contrat d’assurance est rédigé en allemand, le contentieux se déroule devant les juridictions allemandes.
Il fallait cette pesante série de données chiffrées pour démontrer à Laurent Delahousse que les manifestations de Rome et de Lisbonne ont nettement plus d’importance pour les citoyens des nations européennes que les incendies australiens. Mais nous savons que la haute société médiatique aime compatir aux malheurs qui ne menace pas l’ordre établi.
Bertrand RENOUVIN
(1) http://bibliobs.nouvelobs.com/documents/20130731.OBS1691/lettre-d-une-pigiste-perdue-dans-l-enfer-syrien.html
(2) Cf. mes Lettre d’Athènes et Lettre de Salamine sur mon blog : http://www.bertrand-renouvin.fr/