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Le gaullisme est à la mode. François Fillon se déclare gaulliste libéral, Christian Estrosi se proclame gaulliste social. C’est ainsi que l’on flatte le patriotisme français, toujours lié à une exigence ardente de justice sociale, le temps d’une campagne électorale. Après la victoire, c’est le « réalisme » que l’on invoque comme excuse à la soumission… François Fillon a joué à ce jeu sous l’égide de Jacques Chirac puis de Nicolas Sarkozy. Il a approuvé le référendum du 11 juillet 2000 sur le quinquennat qui a profondément ébranlé l’édifice institutionnel voulu par le général de Gaulle. Comme Premier ministre, il a voulu en 2008 le retour de la France dans le commandement intégré de l’Otan et il a voulu le Pacte budgétaire européen signé le 2 mars 2012.
Les erreurs et les fautes passées ne se reproduisent pas fatalement. Tout dirigeant politique peut décider qu’il mettra désormais en accord ses paroles et ses actes. Cela suppose une prise au sérieux de la pensée dont on se veut l’héritier et du cheminement politique dont on dit s’inspirer. Quant au gaullisme, la ruse ordinaire est de déclarer que ce fut avant tout un pragmatisme. Ce n’est pas vrai. La politique gaullienne établit une cohérence stricte entre l’affirmation des principes et la volonté de les faire triompher comme j’avais tenté de le montrer après la reddition d’Alexis Tsipras. (1)
Être gaullien, c’est lier, indissolublement, le principe de souveraineté et le principe de légitimité - ce qui suppose une bonne intelligence de l’histoire millénaire de la nation française.
Être gaullien, c’est lier, indissolublement, la démocratie et la souveraineté nationale.
Être gaullien, pour un homme d’État, c’est se détacher de soi-même sans se prendre pour la France - c’est sacrifier sa vie privée pour devenir un personnage public, qui assume la charge de l’État pour devenir le serviteur de tous.
Être gaullien, c’est savoir que l’intransigeance est la force du faible - la force d’un homme qui doit accomplir une révolution contre les pesanteurs conservatrices, la force d’un chef d’État qui affronte les puissances extérieures.
La politique gaullienne fut révolutionnaire en 1944 et dans le domaine économique et social, en 1958 dans l’ordre institutionnel. À Londres, en 1942, le général de Gaulle appelait à détruire les organes vichyssois de la trahison et « le système de coalition des intérêts particuliers qui a, chez nous, joué contre l’intérêt national » avant de préciser que « la sécurité nationale et la sécurité sociale sont, pour nous, des buts impératifs et conjugués. »
Les principes énoncés en 1942 se retrouvèrent dans le programme du Conseil national de la Résistance. À la Libération, la souveraineté populaire fut pleinement restaurée avec le vote des femmes, puis la Sécurité sociale, les nationalisations et la planification indicative concrétisèrent la révolution annoncée pendant la guerre. Après 1958, le gaullisme peut se définir comme la mise en cohérence d’une Constitution politique ayant restauré l’autorité de l’État dans un régime parlementaire rationalisé, d’une administration mobilisée pour le service de l’État et assurant la direction de l’économie en vue de la réalisation des principes sociaux énoncés par le Préambule de 1946.
La politique gaulliste fut bien entendu très imparfaite, le temps lui fut parcimonieusement compté entre la fin de la guerre d’Algérie et mai 1968 et elle fut combattue par l’alliance des néolibéraux et des conservateurs au sein même du gouvernement et de la majorité. François Fillon et ses amis sont dans la ligne de ceux qui ont entravé la politique gaulliste avant que le parti chiraquien ne procède à sa liquidation. Le programme originel des fillonistes prévoyait la privatisation partielle de la Sécurité sociale, et je ne vois rien qui laisse espérer la destruction du « système de coalition des intérêts particuliers » qui fut rétabli dans les années soixante-dix, rien qui laisse espérer la soumission de l’économie et de la finance aux impératifs de la justice sociale, rien qui laisse espérer la rénovation des institutions de la Ve République.
On peut se dire gaulliste et libéral si l’on se relie à la tradition du libéralisme politique français, fondatrice de notre régime parlementaire après 1814. Mais l’idéologie du marché est une antipolitique, incompatible avec les impératifs de sécurité nationale et de sécurité sociale qui commencèrent d’être conjugués dès que la souveraineté française fut rétablie.
Bertrand RENOUVIN
(1) Cf. sur mon blog mes trois articles d’août 2015 : « Être ou ne pas être gaullien. »