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Editorial | La Nouvelle Action Royaliste

L'homme fragile

Editorial du magazine royaliste N°1146 | du 29 mai 2018 au 11 juin 2018
dimanche 10 juin 2018 | Thème: politique
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Depuis Saint-Pétersbourg, Emmanuel Macron a adressé un message de fermeté aux grévistes de la SNCF et aux manifestants qui défient son autorité. Aucun désordre n’arrêtera l’homme qui a « mis fin à l’impuissance française » ! En ce cas, pourquoi convoquer BFM TV à la veille d’une manifestation des oppositions de gauche, au mépris de la règle qui enjoint au chef de l’État en visite à l’étranger de ne pas évoquer les problèmes français ? Et pourquoi s’exprimer une nouvelle fois comme un Premier ministre en charge de la politique de la nation et confronté à des difficultés dans le maintien de l’ordre public ?

Ces menues inconséquences sont relevées comme indices de contradictions fondamentales. Ce sont bien entendu les réformes ultralibérales mises en chantier qui provoquent les mouvements de révolte et les violences. Emmanuel Macron est trop intelligent pour ne pas s’en rendre compte. Mais il a la fai­blesse de croire qu’il pourra « gérer » efficacement le désordre jusqu’au retour au calme – le calme des matins heureux d’un pays transformé en une petite Californie. Plus de trente ans d’expérience montrent que les « réformes », en France et chez nos voisins, meurtrissent et désespèrent des citoyens qui rejettent de plus en plus durement la caste dirigeante. Une accélération et un durcissement de la politique ultra­libérale ne réconciliera pas le peuple et la « gouver­nance » - bien au contraire.

Dans cette logique de guerre sociale, la stratégie présidentielle est rationnelle. Le pouvoir politique est aujourd’hui un bloc qui dispose de tous les moyens de l’État, du soutien des puissances financières et de l’appui des principaux médias. Les oppositions politiques représentées par la France insoumise et le Front national sont inconciliables, les syndicats ne peuvent pas paralyser le pays, la révolte étudiante se réduit aux blocages opérés par des minorités incohé­rentes et saccageuses, la « marée populaire » du 26 mai, d’ampleur modeste, est composée d’éléments trop divers ou contradictoires pour avoir une unité d’intention et d’orientation… Emmanuel Macron parie sans doute sur le découragement de ses adver­saires mais il n’y aurait alors qu’un calme résigné, à l’opposé des bonheurs promis aux indivi­dus dynamiques de la « start up nation ».

Rien n’est joué cependant, car c’est le système macronien de maîtrise qui risque de se mettre lui-même en échec. Il est déjà évident qu’Emmanuel Macron est le jouet des évolutions de la politique internationale et de la dislocation de l’Union européenne, faute de vouloir reprendre les moyens de la souveraineté. On com­mence aussi à voir apparaître les conséquences de l’extrême concentration du pouvoir à l’Élysée. Selon la logique du quinquennat, le Premier ministre est réduit au rang de chef de cabinet mais les principaux ministres, qui pouvaient jouer un rôle politique au temps de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, sont cantonnés dans les tâches subalternes de la ges­tion au jour le jour et de la propagande officielle.

Campé en super Premier ministre, Emmanuel Macron et une petite équipe de conseillers assurent le lancement et la promotion des « réformes » conçues par divers services : on s’occupe du code du Travail, de la fiscalité, de la SNCF, des banlieues, de la fonc­tion publique, des institutions, des retraites… Entre un voyage aux États-Unis et un autre en Russie – qui supposent normalement beaucoup de préparation et une forte concentration intellectuelle – l’homme à tout faire de l’Élysée multiplie les visites théma­tiques et additionne d’interminables allocutions. Ce rythme effréné affecte gravement la résistance phy­sique et nerveuse des conseillers de la présidence et, à Matignon, les secrétaires se plaignent ouvertement d’être maltraités.

Telles sont les premières limites d’une conduite personnelle des affaires publiques conçue à la manière dont on lance les activités d’une start up. D’autres tiennent à la faiblesse numérique des groupes socio-politiques qui appuient de manière conditionnelle un homme fragile. Emmanuel Ma­cron a la fragilité d’un surdoué qui se prend pour un surhomme. Il a oublié que l’exercice solitaire du pouvoir concentre inévitablement sur un seul per­sonnage tous les ressentiments et toutes les colères. Qu’il ne se plaigne pas d’être brûlé en effigie.

Bertrand RENOUVIN