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Voilà, ça tire vers la fin. Il n’y a pas lieu de se réjouir, ni de se lamenter. Il était certain que l’Union européenne, incapable de résoudre ses contradictions internes, se disloquerait un jour ou l’autre. Le processus est maintenant engagé. La sympathie ou l’antipathie que nous inspirent ses acteurs n’ont strictement aucune importance. Il s’agit de comprendre autant que possible ce qui va se décider dans l’incertitude, sous la pression d’événements riches d’aléas.
Au siècle dernier, nous avions vivement souhaité que la crise terminale de l’Union soviétique débouche sur une nouvelle organisation de l’Europe continentale, dans la perspective gaullienne de « l’Europe de l’Atlantique à l’Oural » prolongée jusqu’à Vladivostok. Les thérapies de choc ultralibérales et les guerres civiles, de la Yougoslavie au Tadjikistan, ont ruiné la grande ambition, si peu partagée, d’une Europe des États libérés des impérialismes, réunis et mobilisés pour un commun développement.
Nous voici confrontés à une nouvelle forme de dislocation, irrémédiable quelles que soient les manœuvres de retardement qui seront tentées. La dislocation de l’Union européenne est irrémédiable parce que c’est le centre de son dispositif qui est atteint. La domination allemande, que nous avons maintes fois analysée et dénoncée, n’est plus qu’un mauvais souvenir. Ironie classique de l’histoire : ça casse là où c’était rigide.
C’est l’inflexible patronne de l’Union qui plie sous les attaques et qui paie tout d’un coup ses arrogantes bévues. En 2015, Angela Merkel avait décidé, sans consulter personne, d’ouvrir les frontières allemandes au flux des migrants et la voici contrainte d’agir sous l’ultimatum de son ministre de l’Intérieur, le Bavarois Horst Seehofer appuyé par les gouvernements autrichien et italien. Convoqué en urgence, le sommet qui s’est réuni le 24 juin sans les pays membres du groupe de Visegrad n’a rien donné.
Regardée comme la cheftaine à abattre par l’Italie, l’Autriche et les conservateurs allemands, Angela Merkel est aussi en butte à la vindicte américaine. Les États-Unis sont le principal débouché des exportations allemandes et Donald Trump veut rééquilibrer les échanges par une guerre commerciale visant principalement l’Allemagne – qui va payer son mercantilisme acharné ou qui négociera directement avec Washington sans plus se soucier de la politique commerciale de l’Union européenne.
Reste le bastion monétaire allemand, qu’on appelle « zone euro ». En apparence, ça résiste mais il y a des signes de déglingue. Le gouvernement italien s’est installé pour durer, au grand dépit de Bruxelles et Berlin. Il faut certes attendre la publication de ses projets budgétaires pour apprécier ses intentions mais nous observons que deux personnalités hostiles à l’euro viennent d’être nommées à des postes stratégiques : Claudio Borghi aux Affaires budgétaires à la Chambre des députés ; Alberto Bagnai aux Affaires financières au Sénat. Quant à l’accord « historique » passé entre Emmanuel Macron et Angela Merkel sur un éventuel budget de la zone euro, il va rapidement prendre la direction des poubelles de l’histoire puisque les Pays-Bas, la Suède, le Danemark et la CSU bavaroise ont immédiatement fait connaître leur hostilité.
Après avoir réduit au minimum ses prétentions de réforme de la zone euro, Emmanuel Macron va être obligé de faire une croix sur les dérisoires concessions qu’il avait obtenues de l’Allemagne. Nouvel échec, qui s’ajoute aux humiliations subies à la Maison blanche puis à Ottawa après le G7. Alors qu’il avait tout misé sur l’Allemagne, et sur la reconnaissance par Merkel de son génie réformateur, le président des riches, qui nous impose des sacrifices pour « faire l’Europe », va devoir assister à la dislocation de l’ensemble sur lequel il avait plaqué un étrange concept de souveraineté. Pour le malheur de la France et des Français, c’est un dirigeant impolitique qui est placé devant un événement politique capital. Sentant le sol européiste se dérober, il a réagi en insultant les effets dont il chérit les causes – en dénonçant la « lèpre » populiste engendrée par l’ultralibéralisme. Par incompréhension de la crise qui se développe rapidement et par ses provocations, Emmanuel Macron enfonce notre pays dans l’impasse et l’expose à tous les dangers.
Bertrand RENOUVIN