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Au cours de la tempête qui a secoué les capitales européennes début mai, une certitude s’est à mes yeux renforcée : les oligarques n’aiment pas l’Europe mais les avantages qu’elle leur donne. Ils ne croient ni au libéralisme économique (mais sa version extrémiste les arrange), ni à la démocratie mais à une sorte de tolérance : liberté des idées hétérodoxes puisqu’elles ne sont pas diffusées par les grands médias ; liberté des mœurs dont ils jouissent plus que quiconque ; liberté des mouvements contestataires, qui ont le double avantage de cultiver les nostalgies et d’alimenter les peurs.
Ces oligarques sont des cyniques qui pensent que tous les moyens sont bons dès lors qu’il s’agit de se sauver eux-mêmes. Lesquels ?
Le viol du traité de Lisbonne, présenté voici peu comme texte indispensable : on autorise des prêts entre États alors que c’est interdit par l’article 125 du traité ;
Le viol des statuts de la Banque centrale européenne : la BCE accorde des crédits aux États-membres par divers moyens qui sont proscrits par ses statuts ;
Le recours à la déflation : elle engendre la récession économique qui entraîne la baisse des recettes fiscales – donc l’alourdissement du déficit que l’on prétend combler. Mais la capacité des financiers à s’enrichir au-delà de toute mesure est ainsi préservée.
Le mépris de la zone euro, présentée voici dix ans comme condition première d’une Europe prospère et toujours plus unie. La longue liste des provocations d’Angela Merkel montre qu’elle voudrait exclure la Grèce et le Portugal et qu’elle entend soumettre à la discipline déflationniste les nations qui continuent à accepter le carcan de la prétendue monnaie unique. Le « plan d’aide » à la Grèce n’est qu’un plan de sauvetage des banques françaises et allemandes – dont on nous dit qu’elles ont joué contre l’euro. Le plan de sauvetage de l’euro, qui fit crier au miracle le 10 mai, a d’autant moins découragé les spéculateurs qu’on s’est aperçu, quelques jours plus tard, que le montage financier demeurait à l’état de virtualité.
Somme toute, on a inscrit dans les textes fondamentaux de l’Union des règles dont on reconnaît en les violant qu’elles sont absurdes et dangereuses ; on veut réduire la zone monétaire qu’on disait vouloir étendre ; on impose aux peuples une discipline de fer qui transforme l’Union en objet de détestation ; on réclame un « gouvernement économique » - autre ânerie – alors que les oligarques se sont liés les mains face aux spéculateurs.
Face à ces violences préméditées, les économistes hétérodoxes formulent des propositions raisonnées (1). Elles inquiètent ceux qui défendent, pour divers motifs, les opérations menées par les oligarques. Le Nouvel observateur (12-18 mai) accuse Jacques Sapir, entre autres, de faire des critiques qui « entretiennent la nervosité des marchés » et Pierre-Antoine Delhommais (Le Monde du 15 mai) compare les dirigeants du Front de gauche aux Khmers rouges. Leur crime ? Proposer la fermeture des Bourses pendant un mois – proposition modérée car la fermeture de ces casinos serait salutaire.
Ces réactions aberrantes m’incitent à mettre en garde contre ma tentative de clarification. La raison cynique opère dans un système en train de s’effondrer : il faut faire la part de l’affolement des uns, de la cupidité des autres, du poids des groupes d’intérêts, des contradictions entre oligarques, de leur aveuglement : tous veulent ignorer la colère qui éclate dans les rues d’Athènes, de Bucarest, de Paris – et cette sourde angoisse qui monte au point que certains craignent la guerre.
Nous n’aurons pas une nouvelle guerre mondiale car la situation politique et géopolitique en Europe n’a rien à voir avec celle des années trente. Mais nous sommes en état de guerre sociale. Après avoir perdu deux batailles en 2005 (le référendum) et 2006 (le CPE) l’oligarchie a mobilisé tous ses moyens, au mépris de la démocratie. En France comme ailleurs, l’immense peuple des humiliés et des punis se retrouve sur la défensive. Mais ce n’est pas fini !
Bertrand RENOUVIN
1) Pour suivre la bataille qui fait rage, pour y participer, il importe de consulter chaque jour le site Marianne2.fr qui publie les principaux articles des économistes hétérodoxes – ainsi la réaction de Jacques Sapir à l’attaque lancée par Le Nouvel Observateur.