Editorial | La Nouvelle Action Royaliste

La revanche du patronat

Editorial du magazine royaliste N°1063 | du 10 octobre 2014 au 23 octobre 2014
vendredi 10 octobre 2014 | Thème: politique
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La revanche du patronat

Toujours plus ! Le Medef en veut toujours plus. Après le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et le Pacte de respon­sabilité - deux cadeaux fiscaux accordés aux entreprises par le gouvernement, afin qu’elles reconstituent leurs marges au détriment des finances publiques et de la Sécurité sociale - l’orga­nisation patronale en redemande. Elle aurait tort de s’en priver dès lors que le gouvernement cède à toutes ses pressions et menaces. Le 24 septembre, Pierre Gattaz, président du Medef, a ainsi pré­senté dans un « petit livre jaune » une série de revendications pour relancer l’économie française et créer un million d’emplois d’ici à 2020. (1)

Y figurent, pêle-mêle, la sim­plification du Code du Travail, la suppression de la référence à une quelconque durée légale de travail, la possibilité de payer en dessous du Smic, l’inversion de la hiérarchie des normes, le remplacement de la loi par le contrat, l’autorisation du travail le dimanche et après 21 heures, la réforme des seuils sociaux, la suppression de deux jours fé­riés…

Voilà pour l’écume des choses, car les véritables motivations du Medef sont ailleurs. Au mieux, le projet patronal constitue une vaste opération d’intoxication pour que se poursuive la déré­glementation ; au pire, il s’agit d’une provocation qui a pour seul but de perpétuer le travail de sape de notre modèle social. Pierre Gattaz n’est pas naïf au point de croire que les mesures qu’il propose pourront créer un million d’emplois. Déjà, dans les années 1980, Yvon Gattaz, le père de l’actuel patron des patrons, assurait que la suppres­sion de l’autorisation adminis­trative de licenciement, instau­rée en 1975, permettrait de créer six cent mille emplois. Revenue au pouvoir, en 1986, la droite s’est empressée de supprimer ce dispositif : les chômeurs at­tendent toujours les emplois. Au­jourd’hui, un consensus semble se dégager chez les économistes sérieux pour reconnaître que ces propositions ne créeraient au mieux que cinquante mille em­plois.

La véritable intention du Medef est donc ailleurs. Pierre Gattaz, comme Ernest-Antoine Seillière, hier, n’est qu’une marionnette manipulée par Denis Kessler, ex-numéro deux de l’organisation patronale et président du Siècle, qui n’a qu’une idée en tête : « défaire méthodiquement le programme du CNR ». (2) Dans la même veine, on peut lire dans le « Petit livre jaune » patronal, inspiré par l’ancien adepte du « Petit Livre rouge » que fut le patron de la Scor : « notre mo­dèle économique et social, hérité de la Libération et basé sur le modèle des Trente glorieuses, a vécu. » Denis Kessler profite de la quasi-léthargie du monde syndical pour avancer ses pions, mais ce faisant ne joue-t-il pas avec le feu ? Un proche de Lau­rence Parisot n’hésite pas à l’af­firmer : « Avec ses provocations, il est capable de bloquer toute la société française. » (3)

Pourquoi tant d’acharnement à vouloir tourner la page du pro­gramme du CNR ? Dans la liste des organisations membres de cette instance, ne figurait aucune organisation patronale : pen­dant la Seconde Guerre mon­diale, les intérêts des entreprises étaient défendus par des Comités d’organisation mis en place par Vichy et qui sont rapidement de­venus un instrument de la colla­boration économique.

Le CNPF fut créé à la Libéra­tion à la demande du gouverne­ment. Dans la période d’après-guerre, le patronat avait intérêt, pour se refaire une virginité, à jouer le jeu de l’État providence. Avec la transformation du CNPF en Medef, l’organisation patro­nale s’est muée de corps inter­médiaire en groupe de pression : la différence est de taille. Là où les premiers cherchent, notam­ment par la négociation, à abou­tir à un accord qui satisfasse l’ensemble des parties prenantes, les seconds ont pour seul objectif d’imposer leur point de vue et la défense de leur propre intérêt.

Le projet du Medef poursuit un seul objectif : achever ce qu’il reste de l’État providence qui, contrairement aux affirmations en vogue depuis une trentaine d’années, avait pour finalité d’as­surer le bien-être des personnes dans le souci du bien commun et à les protéger contre les erre­ments du marché et l’individua­lisme, comme le montre Éloi Laurent, économiste à l’OFCE, dans Le Bel avenir de l’État pro­vidence, (4) un essai qui propose des pistes pour le réinventer et sur lequel il nous faudra revenir.

Nicolas PALUMBO

(1)http://fr.slideshare.net/medef/1-milion-demplois-cest-possible

(2) In Challenge, 4 octobre 2007.

(3) In Le Monde, 1er juillet 2013.

(4) Éloi Laurent – « Le Bel Avenir de l’État providence », Éd. Les Liens qui libèrent, 05/2014, 160 pages, prix franco : 15,50 €.