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Le gouvernement dispose à l’Assemblée nationale de la majorité absolue, face à des oppositions séparées par des frontières idéologiques infranchissables. Le Premier ministre a pourtant annoncé que la réforme de la SNCF, comme celle du droit du Travail, se ferait par ordonnances. Cela signifie que le Parlement ne pourra pas remplir son œuvre propre quant à la révision, par voie d’amendements, des projets de loi. Réduit au rôle d’une chambre d’enregistrement, il est mis entre parenthèses. La rapidité du processus d’habilitation est mise en avant mais il est clair qu’il s’agit de priver les syndicats d’une longue campagne calée sur les débats parlementaires. Le mépris de la représentation nationale et les manœuvres antisyndicales trouvent leur pleine cohérence dans les opérations de guerre sociale menées depuis l’été dernier.
Il faut prendre garde à cette cohérence dans les opérations efficaces. Au temps de Jacques Chirac, de Nicolas Sarkozy, de François Hollande, les principales fractions de l’oligarchie menaient une politique cohérente dans leur soumission aux systèmes de contrainte européistes mais les rivalités entre l’aile droite et l’aile gauche, les embrouilles partisanes, les frondes parlementaires, les résistances syndicales – en 2006 notamment – ralentissaient ou empêchaient la mise en œuvre de certains projets.
Emmanuel Macron est beaucoup plus dangereux que ses prédécesseurs. Il ne s’est pas greffé sur un parti installé mais a créé son propre parti – un parti-entreprise qui est entièrement dévoué à sa personne et qui est devenu hégémonique en juin dernier sans pour autant disposer d’un pouvoir réel. Il est le véritable chef d’un gouvernement au sein duquel les ministres sont régentés par les directeurs de cabinet choisis par l’Élysée. On voit également apparaître une administration-parti, composée de hauts fonctionnaires choisis sur des critères idéologiques et sociologiques pour concevoir et mettre en œuvre techniquement la « transformation » ultralibérale. Ce dispositif politico-administratif est en parfaite symbiose avec le milieu financier qui soutient Emmanuel Macron à proportion des services qu’il rend. Le spectacle radio-télévisé prouve chaque jour que les directeurs de l’information ont trouvé leur place, très confortable, dans cette organisation verticale du pouvoir. L’oligarchie qui soumet la nation à sa « gouvernance » depuis le début du siècle est entrée dans une nouvelle phase, qui concrétise l’amalgame entre droite et gauche dans toutes les strates du milieu dirigeant.
Emmanuel Macron n’est pas seulement le « premier de cordée » du nouvel ordre politico-administratif qui se met en place. Il est aussi, plus encore que Nicolas Sarkozy, le président des riches – et pas seulement parce qu’il synthétise dans son omniprésente personne l’élite du pouvoir et des affaires. L’élu du 7 mai est arrivé à l’Élysée en un moment dramatique de notre histoire sociale, caractérisé par la sécession des classes favorisées (1). Cette sécession est urbaine, fiscale, professionnelle et politique. Les classes riches peuplent majoritairement les centres urbains, placent leurs enfants dans des lycées d’excellence et dans les écoles privées, organisent avec soin leur exil fiscal, s’expatrient d’autant plus volontiers que la patrie n’a pas de sens à leurs yeux, adhèrent totalement au libre-échange, à la globalisation financière et à l’américanisation des modes de vie. Indifférentes à la nation, à son industrie, à son agriculture, à l’aménagement d’un territoire qui lui est en grande partie étranger, ces classes assistent d’un cœur léger, quand elles n’en profitent pas, à la destruction des services publics, à la vente aux étrangers d’entreprises stratégiques, comme Alstom, aux privatisations - celle des barrages est annoncée.
Sous l’égide d’Emmanuel Macron, l’oligarchie et l’ensemble des groupes privilégiés sont à l’offensive dans un paysage politique où les oppositions politiques sont trop faibles pour être inquiétantes. Après la victoire obtenue contre le syndicalisme de résistance et les salariés à l’automne, l’objectif est d’infliger aux syndicats de fonctionnaires et aux cheminots une défaite définitive. Les luttes politiques du proche avenir doivent se forger dans la lutte de classes. C’est l’adversaire, tout-puissant, qui fixe le lieu des batailles.
Bertrand RENOUVIN
(1) Cf. Jérôme Fourquet, 1985-2017 : quand les classes favorisées font sécession, Fondation Jean Jaurès, 21 février 2018