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A la fin de l’été, nous avions entendu dire qu’Emmanuel Macron allait se concentrer sur les tâches régaliennes, économiser sa parole, se tenir à distance des affaires courantes… Le temps des bonnes résolutions a été de courte durée. Dès le 16 septembre, il mobilisait ses ministres et les parlementaires de sa majorité pour relancer le débat sur l’immigration et confiait que s’il devait être battu en 2022, ce serait par Marine Le Pen. En deux coups de cuiller à pot, le décor polémique des élections municipales et présidentielle était planté par celui qui s’est toujours comporté, au mépris de la Constitution, comme un chef de clan…
Avec componction, maints journalistes dissertent aujourd’hui sur le retour de l’hyperprésidence, comme si Emmanuel Macron n’était pas resté infatué de lui-même sous les divers artifices de la communication : omniscience, omniprésence sous les habituels prétextes de l’écoute, du dialogue par lequel on se montre “proche des gens”. Naguère, Jacques Chirac jouait la proximité avec le talent d’un démagogue accompli alors que l’élu de 2017 jette des allumettes sur des barils de poudre.
De fait, c’est un étrange ballet qui se joue à nouveau en ce début d’octobre. D’un côté, Emmanuel Macron court les “territoires”, ici pour apaiser l’opinion publique sur la réforme des retraites et là pour rassurer les éleveurs. De l’autre, il se livre à une nouvelle provocation par cette déclaration hallucinante : “Moi, je n’adore pas le mot de pénibilité parce que ça donne le sentiment que le travail serait pénible”. En vingt mots, l’homme de l’écoute, du dialogue et de la proximité a signifié qu’il était, par ses réflexes mentaux et ses postures esthétisantes, un bourgeois caricatural niant le travail ouvrier et la souffrance qu’il engendre.
C’est toujours le même jeu pervers depuis le début du quinquennat : on frappe puis on se répand en bonnes paroles et en diverses familiarités. Et c’est toujours la même logique : au jeu de la pommade verbale et de la violence sociale, c’est la violence qui l’emporte parce qu’elle est ou sera inscrite dans les lois et les traités. Emmanuel Macron le sait, mais il croit ou affecte de croire qu’en décrivant cette violence comme une nécessité qui serait finalement salutaire, nous nous contenterons d’attendre stoïquement les bienfaisants résultats des “réformes”.
Et si la rhétorique et les numéros de charme ne suffisent pas, il reste la répression policière et judiciaire. Les Gilets jaunes le savent mieux que quiconque : trois mille condamnations pénales, plus de mille peines de prison ferme, des milliers de blessés.
Tout comme “l’acte I” du quinquennat, “l’acte II” se caractérise par la violence des réformes entreprises ou annoncées. La réforme de l’assurance-chômage pénalisera 1,2 millions de personnes, qui subiront la baisse de leurs indemnités ou qui ne pourront plus bénéficier d’allocations. Quelles que soient ses modalités, la future retraite par points est conçue pour réduire les sommes perçues et pour favoriser les assurances privées. Quant au traité de libre-échange avec le Canada (CETA), il impose aux éleveurs français des conditions de concurrence d’autant plus insupportables qu’elles s’ajoutent aux autres effets désastreux de l’ultralibéralisme.
La contradiction manifeste entre la communication lénifiante de la “gouvernance” et la violence subie par d’innombrables citoyens provoque parfois une exaspération impuissante mais de plus en plus souvent des mouvements de grève et de révolte. Grève de la RATP le 13 septembre en attendant le mouvement du 5 décembre, manifestations de pompiers, grève des urgences, colère des policiers qui furent plus de 10 000 à manifester à Paris le 3 octobre. Emmanuel Macron voit se dresser contre lui et contre son gouvernement ceux qui travaillent dans des secteurs décisifs pour la vie du pays et les fonctionnaires qui formaient, l’hiver dernier, le dernier rempart entre les palais officiels et la foule des révoltés.
Cette fois, ils ne s’en sortiront pas par la communication. À Rouen, après l’incendie de l’usine Lubrizol, les déclarations du gouvernement ont été confuses et contradictoires. À Paris, après l’assassinat de quatre fonctionnaires de police par un islamiste, le ministre de l’Intérieur s’est répandu en propos irréfléchis et fallacieux sur cet attentat qui révèle des failles d’une gravité extrême dans le fonctionnement de certains services.
Aujourd’hui en France, la parole publique est totalement discréditée. L’hyperprésident n’est plus qu’un tigre de papier.
Bertrand RENOUVIN