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Quoi qu’elle dise, quoi qu’elle fasse, la « gouvernance » oligarchique est prise dans la tenaille. La mobilisation des Gilets jaunes, le 17 novembre, marque la fin d’une période du confort politique pour Emmanuel Macron et sa garde rapprochée.
Face à une impopularité croissante, la macronie tenait bon sur tous les fronts. Les Républicains, la France insoumise, les résidus du Parti socialiste et le Rassemblement lepéniste formaient une marqueterie d’opposants impuissants et irréconciliables.
Disloqué, battu à chaque campagne depuis la loi El Khomri jusqu’à la grève des cheminots, le front syndical miné par les trahisons répétées de la CFDT avait perdu toute capacité de réagir et les scandales qui ont successivement frappé la direction de la CGT puis celle de Force ouvrière ajoutaient des crises internes aux échecs tactiques et stratégiques.
Malgré l’hostilité de la majorité des Français, les « réformes » ultralibérales pouvaient aller bon train avec la complicité active du patronat, des groupes financiers, de leurs médias et des minorités qui tirent profit du marché mondialisé.
Au vu de ce contexte politique et social, la caste dirigeante a eu l’impression qu’elle était inexpugnable. « Qu’ils viennent me chercher ! » s’est écrié Emmanuel Macron en pleine affaire Benalla. Les mauvais sondages, les protestations pendant « l’itinérance mémorielle », les « grognes » sectorielles – tout cela pouvait être maîtrisé par une bonne communication, des explications pédagogiques et quelques poignées de menue monnaie pour compenser les ponctions fiscales. Prenant peur à l’annonce d’une mobilisation massive de Gilets jaunes, la « gouvernance » a joué toutes ces cartes : mise en scène de l’humilité présidentielle sur le Charles-de-Gaulle avec un Rafale en arrière-plan, explications techniques sur le marché mondial des carburants, augmentation du chèque-essence, prime à la casse très utile quand on n’a pas les moyens de s’acheter une voiture neuve…
Misérable, usée jusqu’à la corde, cette « communication de crise » a échoué. Le 17 novembre, il y eut 2 000 blocages et des centaines encore le dimanche, opérés par des centaines de milliers de manifestants. Combien, au juste ? Peu importe. Ce qui compte pour l’avenir, c’est la nature de l’événement et sa dynamique. En quinze jours, des gens « qui ne sont rien », selon les mots terribles d’Emmanuel Macron, ont lancé et réussi une mobilisation de masse sur l’ensemble du territoire national et tout particulièrement dans cette France périphérique qui a été délibérément sacrifiée à la logique du marché mondialisé. Le prix de l’essence a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, comme cela a été dit et redit sur les lieux de blocage. C’est le peuple de ceux qui travaillent dur et gagnent peu dans l’incertitude des lendemains qui a crié sa colère et qui est entré en lutte contre l’oligarchie – le mot a été entendu sur maints barrages. C’est le peuple de ceux qui ont été humiliés par ces menteurs professionnels que furent Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, et plus directement encore par François Hollande se moquant des « sans-dents » et par Emmanuel Macron égrenant ses insultes lors de ses déplacements en France et depuis l’étranger.
Depuis le 17 novembre, le président des riches est pris au piège. Mandataire de puissants groupes d’intérêts, il est obligé de poursuivre les « réformes » ultralibérales qui s’abattent les unes après les autres sur les classes moyennes et populaires. Cela pouvait marcher tant que la « gouvernance » se trouvait face à un peuple d’individus ou à de petits groupes éparpillés et sans influence sur la vie dans les grandes métropoles. C’est fini.
Ce peuple s’est révolté et spontanément rassemblé hors des partis politiques, mêmes populistes de droite ou de gauche. Il n’offre aucune prise à la séduction et à la récupération et ce ne sont pas les « experts » de médias discrédités depuis belle lurette qui vont l’impressionner. La « gouvernance » ne peut faire de concessions, fiscales par exemple, car ce serait encourager des revendications intolérables pour l’oligarchie. Mais si elle persévère dans son ultralibéralisme, elle alimente l’incendie social.
Les dirigeants du pays ont choisi la guerre sociale, persuadés qu’ils allaient la gagner. Ils sont en échec. C’est une première victoire.
Bertrand RENOUVIN