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A l’heure où nous mettons sous presse, nous ignorons tout de l’épilogue de la crise grecque. Nous ne connaissons pas le résultat du référendum voulu par le gouvernement et entériné par le Parlement, ni même s’il a eu lieu, encore moins si des négociations de la dernière chance ont été engagées, cependant, on peut déjà dire que rien ne devrait plus être comme avant. Les événements de ces dernières semaines ont, en effet, révélé le vrai visage de l’Union européenne et mis en évidence la dimension politique de la crise grecque au grand dam des créanciers d’Athènes (la Commission, la Banque centrale, le Fonds monétaire international), des économistes orthodoxes et des médias officiels qui entendaient confiner le débat dans ses dimensions technico-financières.
L’annonce du référendum par Aléxis Tsipras a pris tout le monde à contre-pied, surtout les Allemands qui, depuis le début des négociations, souhaitaient pousser la Grèce vers la sortie, tout en refusant d’en porter la responsabilité ; de son côté, le gouvernement grec - qui ne supporte plus cette Europe qui bafoue la dignité de son peuple - fait d’une pierre deux coups : il donne à Madame Merkel et à son ministre des Finances une leçon de démocratie en lui signifiant que ce n’est pas elle qui chasse la Grèce, mais que c’est au peuple grec de décider de l’Europe qu’il souhaite.
Durant la phase finale des négociations, ce sont deux conceptions de l’Europe qui se sont affrontées : l’Europe des traités imposés aux peuples contre sa volonté face à l’Europe de la démocratie, l’Europe des menaces, des chantages, du mensonge, de l’intimidation face à l’Europe du droit, l’Europe de la finance face à l’Europe de la solidarité, l’Europe des crises à répétition face à l’Europe de la paix, l’Europe de l’austérité budgétaire et de la compétitivité face à l’Europe du développement économique et de la prospérité, l’Europe du sacro-saint euro face à l’Europe de la dignité de l’homme.
Car, à bien y réfléchir, on retrouve, dans cette « tragédie grecque », tous les ingrédients de la crise sacrificielle tels que les expose René Girard dans toute son oeuvre : d’abord, une société en crise et qui risque de voir la violence l’emporter, ensuite, l’élection d’un bouc émissaire et son exécution destinée à rétablir la paix, enfin, l’élaboration de nouveaux rituels pour éviter qu’une nouvelle crise se reproduise. En 2008, lorsque éclate le scandale des subprimes, le monde bascule dans la crise - il serait plus juste de dire le monde bancaire entraîne le monde dans sa chute provoquant la plus grave crise économique depuis 1929. Les premières touchées sont les banques américaines puis très rapidement la crise se propage aux banques européennes. Les autorités monétaires américaines prennent les mesures qui s’imposent pour sauver leurs banques en inondant la planète finance de liquidités par le recours à « la planche à billets », non sans sacrifier au passage l’une d’entre elle. L’Europe, du fait de son histoire, de sa construction et des intérêts divergents des pays qui la composent, tergiverse. La catastrophe est évitée de justesse grâce aux États qui prennent les mesures nécessaires pour sauver leurs banques, mais comme elle en fait payer la facture par le contribuable, le continent continue de s’enfoncer dans la crise ; Bruxelles, Francfort, Berlin et Washington (intervenant à la demande de l’Allemagne) créent un mythe qui met en garde les pays tentés de suivre l’exemple grec et qui légitime le sacrifice du peuple hellène via une politique d’austérité.
Pour les grands prêtres de l’euro, la Grèce « a vécu jusqu’en 2009 dans une sorte d’indolence coupable jusqu’à ce que les marchés, censeurs justes et impitoyables, réveillent les Hellènes et les appellent à expier leurs fautes. Le FMI et les Européens sont alors venus au secours des Grecs avec bienveillance, en leur prêtant les sommes nécessaires à leur sauvetage, mais, évidemment, en leur imposant, pour leur propre bien, des réformes destinées à les protéger, à l’avenir, de telles crises. » (1) L’étape suivante consiste dans la mise en place d’un plan en deux phases afin d’aboutir avant 2025 à une véritable union économique, financière, budgétaire et politique.
C’était sans compter la victoire électorale d’Aléxis Tsipras, début 2015, bien décidé à respecter le mandat confié par le peuple. Pour que le mécanisme du bouc émissaire fonctionne, il faut, en effet, que la victime soit consentante et finisse par reconnaître sa culpabilité : ce qu’ont fait ses prédécesseurs à la tête du gouvernement, mais que refusera Aléxis Tsipras. En avril, le Parlement grec crée un Comité sur la vérité concernant la dette grecque. Son rapport, rendu public le 18 juin, montre, sans minimiser la responsabilité de l’État grec dans le déficit, notamment à travers ses dépenses militaires supérieures à 3 % du PIB, que la dette - qui repose essentiellement sur un transfert de la dette privée (des banques) vers la dette publique et sur les politiques d’austérité - est contraire aux droits de l’homme, « illégale, illégitime et odieuse », que les créanciers, ainsi que leurs complices, pourraient être traduits devant la Cours de justice de l’Union européenne et la Cour internationale de justice.
Cette crise, quelle que soit son issue, devrait faire prendre conscience aux dirigeants européens de la nécessité de renoncer à la monnaie unique, qui profite uniquement à l’Allemagne et aux pays qui ont atteint le même niveau de développement, ainsi qu’aux financiers et aux rentiers, pour définir les contours d’une monnaie commune, plus respectueuse de la diversité des pays de l’Union et des peuples qui la composent.
Nicolas PALUMBO
(1) http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/grece-le-rapport-sur-la-dette-est-une-arme-utile-pour-athenes-485224.html