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En début d’année, François Rebsamen, voyait poindre la reprise, du fait, expliquait-il, d’un « alignement des planètes plutôt favorable. » Celui qui était alors ministre du Travail faisait référence à la conjonction de plusieurs événements propices à une relance de l’activité économique : une politique de l’emploi tirée par le succès à venir du pacte de responsabilité, une baisse des prix du pétrole et de l’euro, une politique économique européenne rendue volontariste par la grâce de Jean-Claude Junker…
Las ! Force est de constater, aujourd’hui, que le marasme perdure et que ce serait plutôt à un alignement des planètes d’un tout autre genre auquel on assiste. En effet, les récents événements d’Air France, qui ont vu des salariés, fatigués des plans sociaux à répétition, s’en prendre violemment à des représentants de la direction, ne sont pas isolés. Non seulement le nombre de chômeurs ne cesse d’augmenter, mais les salariés qui ont un emploi souffrent de salaires insuffisants, d’une dégradation de leurs conditions de travail, d’un manque de reconnaissance, d’un matraquage fiscal… et le font savoir de plus en plus bruyamment. Aucun secteur n’est épargné : ainsi a-t-on vu tour à tour les chauffeurs de taxi, les agriculteurs, les policiers, les médecins, les fonctionnaires, les enseignants ou les avocats descendre dans la rue.
À cette grogne sociale, s’ajoute l’exaspération des étudiants qui commencent à se mobiliser contre les sureffectifs dans les facs. On pourrait compléter cette liste non exhaustive par la colère de tous ces anonymes qui se reconnaissent dans le geste des rebelles de la compagnie aérienne : lors d’un déplacement d’Emmanuel Macron dans le Lot, presque étouffé par les sifflets, les huées et les appels à la démission du ministre de l’Économie, on a pu entendre crier « nous sommes tous des salariés d’Air France ! ». La chemise déchirée du directeur des ressources humaines de l’entreprise et de son collègue de l’activité hub est même en passe de devenir un symbole. Car, contrairement à ce qu’on a pu entendre ou lire, ce ne sont pas les pilotes, présentés comme des privilégiés, qui sont à l’origine des débordements, mais les salariés de la branche cargo : en moins de trois ans, ils ont vu leurs effectifs fondre et leur flotte d’avions passer de douze à deux appareils. On pourrait, enfin, citer cette autre forme de violence qui consiste à se suicider dans son bureau ou son atelier pour manifester son ras le bol des restructurations successives - et dans ces cas-là les responsables ne sont que très rarement inquiétés - ou à détruire son outil de travail ou encore à se doper.
Pas question, pour autant, de voir dans tous ces mouvements sociaux l’imminence d’un grand soir ou la possibilité d’un printemps en automne, car s’ils ont une même origine - la compétition à laquelle se livrent entreprises et nations dans une économie mondialisée, l’affaiblissement des États et l’austérité économique imposée par les grandes organisations internationales - ils n’ont pour l’heure aucun relais politique. Ils ne sont que le reflet d’une « défiance à l’égard des institutions politiques, mais aussi des organisations représentatives », comme l’a souligné Raymond Soubie dans le quotidien L’Opinion du 6 octobre. Du gouvernement, on est en droit d’attendre une réponse politique aux inquiétudes exprimées, conforme au projet de société qu’il porte et pour lequel il a été élu. Au lieu de cela, dès qu’un problème surgit, le président de la République et son Premier ministre répondent au coup par coup, en fonction de la clientèle à laquelle ils sont confrontés. Face aux policiers et aux agriculteurs, ils lâchent du lest ; face aux fonctionnaires, ils tentent le coup de force ; face aux médecins, ils laissent pourrir la situation ; quant aux salariés d’Air France à l’origine de la violence, ils les font cueillir au petit matin à leur domicile par la police comme le premier bandit ou terroriste venu, histoire de montrer l’exemple et de réduire les ardeurs contestataires de nos concitoyens.
Dans ce paysage social dévasté par la violence, les organisations syndicales et patronales représentatives semblent dépassées ; les premières sont sans cesse sur le reculoir, les secondes, qui bénéficient d’un rapport de force favorable, cherchent à imposer leurs solutions, comme nous l’avons encore vu sur le dossier des retraites complémentaires. Le dialogue social, que tout le monde appelle de ses voeux, à commencer par François Hollande qui, durant la campagne pour l’élection présidentielle de 2012, avait promis de l’inscrire dans la Constitution et qu’il encourage depuis son arrivée à l’Élysée à travers les conférences sociales, pourrait apporter des éléments de réponse au climat de violence actuel. Quoiqu’on en dise, il existe une culture française du dialogue social, des lieux de dialogue et des instances de négociation, mais que de récentes réformes ont mis à mal. Encore faut-il pour dialoguer, être deux, accepter de s’écouter, faire un pas vers l’autre, renoncer à son intérêt particulier au nom du bien commun. Ce savoir-faire se perd, remplacé par de la basse stratégie, des jeux de rôle et la volonté de faire plier son interlocuteur. Répondre aux attentes actuelles du monde du travail, en intégrant les évolutions à venir liées à la généralisation du numérique et aux enjeux environnementaux, dans la justice et la paix sociales cela passe par l’élaboration d’un nouveau contrat social, mais exige un préalable : passer outre les acteurs actuels et changer de paradigme.
Nicolas PALUMBO