Recommandez: |
|
Tweet |
---|
Colère, dégoût, indifférence… Le taux d’abstention massif aux élections régionales et départementales est le résultat de sentiments mêlés qui confirment la dissociation croissante entre les partis politiques et une forte majorité de citoyens.
Ce phénomène est lié au processus de dislocation sociale, géographique et économique décrit par maints analystes. Depuis la fin du siècle dernier, la classe dirigeante est consciente de ces fractures. Elle a cependant décidé de ne rien faire parce qu’elle partage les conceptions et les objectifs de l’aristocratie financière et de la nouvelle bourgeoisie urbaine.
Il est donc logique que les élites du pouvoir, de l’argent et des médias fassent scission par rapport au « reste » du pays : cadres moyens toujours bons à sacrifier, petits entrepreneurs et artisans livrés à la concurrence étrangère, classe ouvrière, paysannerie, travailleurs serviles, personnels des trois fonctions publiques.
Encore faut-il que la minorité dominante parvienne à tenir en respect la majorité dominée. Cela se fait d’abord par le chantage au chaos que provoquerait la conquête du pouvoir par le Rassemblement national.
Cela se fait aussi par des opérations de diversion – les réformes sociétales – et par des campagnes de division. Depuis des décennies, divers périodiques influents – par exemple Le Point - s’ingénient à opposer les jeunes aux vieux, les fonctionnaires aux travailleurs du secteur privé et ces derniers aux « assistés » - tout en cultivant volontiers les idéologies identitaires et indigénistes qui visent la ségrégation et l’exclusion.
Jouant de ces divisions et s’estimant capable de mater de nouvelles révoltes, Emmanuel Macron se croit assez fort pour détruire la haute fonction publique et pour provoquer les entrepreneurs patriotes en faisant appel au capital étranger - car tel était le sens de l’opération « Choose France ».
Ainsi résumée, la situation critique dans laquelle se trouve la nation française nous place devant deux possibilités :
La première prolonge les tendances observées et aboutit à une désintégration que les « réformes » ultralibérales et le poids des organes de l’Union européenne ne peuvent manquer d’accélérer.
La seconde possibilité s’appuie sur un constat : les contradictions politiques et sociales évoquées plus haut forment un nœud qui ne peut plus être dénoué par des réformes, même judicieuses. Il y a dans notre pays trop de souffrances sociales et d’humiliations collectives pour qu’on puisse prendre au sérieux les améliorations partielles. Trop d’illusions ont été répandues dans notre pays, où la perte de l’avenir collectif coïncide avec le naufrage de trop nombreux projets individuels. L’avenir de la France et des Français, ce n’est pas « l’attractivité des territoires » sur le marché mondialisé, la baisse des retraites et la promesse que nous serons, un jour, le « bon élève de la classe européenne ».
Une révolution ? Ces souffrances et ces impasses peuvent ouvrir une perspective révolutionnaire. Mais attention ! Une révolution n’est pas vouée à reproduire les événements de 1793 et de 1917. La France moderne s’est construite au fil des révolutions de 1789, 1830, 1871, 1944 et 1958, de même que l’Europe moderne s’est construite grâce aux révolutions nationales et démocratiques du XIXe siècle et de la fin du XXe siècle. Toutes ces révolutions ont maintenu, établi ou rétabli un système de légalité et une légitimité plus ou moins complète du pouvoir politique, à l’opposé de l’idée d’une « table rase » permettant la création d’un homme nouveau.
Nous sommes particulièrement attentifs à la révolution de 1830, par laquelle Louis-Philippe voulut reprendre et accomplir la Révolution de 1789 et aux révolutions gaulliennes menées dans l’esprit de la monarchie capétienne et par le moyen d’une monarchie élective. Le risque, aujourd'hui, est de rejeter tout à la fois la classe dirigeante, les serviteurs de l’Etat et les institutions politiques dans le beau rêve d’une démocratie directe. Sans chercher à répéter les précédentes révolutions mais dans la fidélité à leur ambition nationale et républicaine, il faut au contraire reprendre le pouvoir politique afin de le remettre au service de l’intérêt général puis rétablir et renforcer l’Etat afin que la puissance publique soit à nouveau en mesure de protéger les citoyens d’une nation qui devra retrouver sa pleine souveraineté.
Cette révolution national-républicaine implique l’alliance patriotique qui fut envisagée voici vingt ans sans véritable conviction. Un parti révolutionnaire est inutile car la plupart des révolutions se font sans professionnels de la prise du pouvoir mais à la faveur d’événements qui rassemblent tout à coup des étudiants, des ouvriers, des policiers, des soldats… Une telle rencontre est aujourd’hui possible entre des fonctionnaires, des ouvriers, des policiers, des étudiants, des entrepreneurs patriotes, les sociétés de pensée républicaines - dont nous faisons partie - les intellectuels hétérodoxes et le vaste secteur de l’opinion publique que ces derniers inspirent.
Le programme de cette révolution est écrit. Il est en tous points réalisable. Mais nul ne décide des circonstances. ■