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Le discours dominant dénonce le trio maléfique que formeraient Donald Trump, Vladimir Poutine et Bachar el-Assad. Dans les grands médias, la priorité est comme toujours donnée à l’image émouvante et aux « éléments de réponse » manichéens. C’est là une vérité connue. Elle est combattue sur les réseaux sociaux par la production d’images, d’informations et de commentaires qui tendent à inverser les représentations collectives : le camp du Mal serait le camp du Bien, celui du peuple aux États-Unis avec Donald Trump, celui du bon combat russo-loyaliste en Syrie.
La politique étatsunienne au Moyen-Orient, l’arrogance ploutocratique d’Hillary Clinton, les exactions djihadistes et l’agressivité de Barack Obama à l’égard de la Russie suscitent en France une exaspération d’autant plus violente que la politique extérieure de la France balance le plus souvent entre l’effacement et l’alignement. De là à inverser le sens du manichéisme, il y a un pas immense qu’il faut se garder de franchir. Par bienveillance humanitariste ? Non. Pour se garder de toute compromission fâcheuse ? Non plus. Il s’agit de défendre l’action politique en tant que telle. Celle-ci ne vise pas l’absolu sur terre, elle s’accomplit rarement par la geste des héros et des saints, mais elle doit chercher à explorer tout le champ des possibles, face aux pures volontés de puissance, sans perdre de vue les conditions du bien commun : la justice, la liberté, la paix entre les nations. Or le discours dominant sur les relations internationales mélange abusivement la politique et la morale et obscurcit les données géopolitiques par des jugements à l’emporte-pièce sur les chefs d’État.
Il faut donc revenir aux distinctions aussi banales que nécessaires entre politique intérieure et politique extérieure sans séparer radicalement les deux domaines mais en prenant soin d’indiquer le point de vue auquel on se place.
- Si l’on prend la démocratie universelle pour critère, il faut exclure tout à la fois les tyrans, les présidents autoritaires et les dictateurs - sans oublier les Chinois et les Saoudiens. La diplomatie deviendra un club très fermé, d’où l’on contemplera avec effroi la brutalité du monde.
- Si l’on a pour souci le rôle et le rang de la France dans le monde, selon les principes universels qui doivent guider notre patrie, on ne saurait réunir dans le même emballement Donald Trump, Vladimir Poutine et Bachar el-Assad. Le premier, élu démocratiquement, ne fera l’objet d’un jugement politique que lorsqu’il sera devenu le président d’une nation qui a plus de deux siècles. Le deuxième, élu au suffrage universel, exerce de manière autoritaire la présidence d’une fédération, héritière d’un empire multiséculaire, qui s’est donnée voici vingt-cinq ans seulement des institutions représentatives. Le troisième est le dictateur d’une nation introuvable, l’héritier de « l’État de barbarie » (1) fondé par son père.
Si elle retrouvait son indépendance, notre diplomatie prendrait le temps d’examiner le nouveau cours de la politique extérieure des États-Unis et chercherait à anticiper les réactions de Washington à notre départ du commandement intégré de l’Otan. Elle verrait dans la Russie le moyen de limiter la puissance étatsunienne et un acteur décisif dans la construction de l’Europe confédérale de Brest à Vladivostok. En Orient, elle pourrait contribuer à effacer l’effroyable désastre créé par l’agression étatsunienne de 2003 en préparant le retour à une paix qui suppose la construction d’États solides.
On dira que ces voeux sont exprimés pour masquer l’impuissance totale des citoyens que nous sommes. Ce n’est pas vrai. Un citoyen français peut participer aux libres discussions qui ont lieu en Russie. Il peut aller voir de près ce socialisme yankee révélé par la candidature de Bernie Sanders. Il peut parler avec des exilés syriens et irakiens de l’avenir de leur pays, à l’exemple de ceux qui accueillaient naguère les exilés polonais, russes, grecs, bulgares, roumains… Contre le nationalisme toujours xénophobe, les vieilles et les jeunes générations de patriotes ont à repenser l’Europe en vue de sa refondation et à inventer un nouvel internationalisme, hors de la fascination pour des personnalités et des pays mythifiés. Nous n’oublierons pas, cependant, que rien de décisif ne sera entrepris tant que la diplomatie française sera contrainte, par des dirigeants incapables, au bavardage et à l’alignement.
Bertrand RENOUVIN
(1) Cf. Michel Seurat, L’État de barbarie, PUF, 2012. Voir notre article dans le numéro 1017 de Royaliste.