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Dès 1983, nous nous sommes opposés au Front national de Jean-Marie Le Pen, selon notre conception de la tradition française. Nous avons dénoncé la responsabilité des oligarques de droite et de gauche dans la progression du nouveau parti, souligné les erreurs d’analyse des intellocrates qui dénonçaient le retour de la « bête immonde » alors que le Front national est un mouvement typiquement français, étranger aux totalitarismes fasciste et nazi.
Tout en participant aux manifestations contre la xénophobie, nous avons refusé de participer aux attaques menées contre les réunions et congrès du Front national, organisation légale participant normalement aux consultations électorales. Nous avons redouté la propagande contre l’immigration parce qu’elle risquait de créer un climat de guerre ethnique – alors que le vote frontiste exprimait principalement une angoisse sociale. En 1997, j’ai publié une critique des thèses et du programme du Front national (1) dans l’intention de susciter un débat de fond que ses dirigeants ont refusé, tandis que les journalistes bien-pensants m’accusaient de complaisance parce qu’ils ne retrouvaient pas dans ce livre les émois des gens de gauche.
Je ne rappelle pas ces prises de position pour vanter notre lucidité mais pour mieux souligner que nos nombreux articles et mon livre appartiennent désormais au passé. Ils peuvent être consultés comme documents sur notre histoire et peut-être sur l’histoire du sentiment national en France, mais ils ne peuvent plus donner d’arguments contre le Front national de Marine Le Pen. Toute l’analyse de ce mouvement nationaliste est à reprendre point par point, sans tomber dans les rituels et les paresses de l’extrême gauche et de la gauche :
- Les manifestations contre les réunions du Front national auront le même effet que celles organisées par la Ligue communiste révolutionnaire dans les années quatre-vingt : elles stimuleront les énergies des militants nationalistes et elles établiront le Front national en victime de l’intolérance.
- Il ne sert à rien de comparer la fille au père, en cherchant à démontrer que c’est du pareil au même. Marine Le Pen est une femme du XXIe siècle, étrangère à l’extrême-droite pétainiste et nostalgique de l’Algérie française.
- On ne réglera pas le problème du Front national par des tactiques électorales et des discours sur « l’identité » : l’électorat du Front national est mobilisé contre l’oligarchie tout entière et ne peut pas tomber dans le piège de la récupération, naguère tendu par Nicolas Sarkozy face à un Jean-Marie Le Pen en fin de parcours.
- On aurait tort de continuer à mettre en exergue des phrases, parfois tronquées, sur « les immigrés » et « les musulmans » afin que la nouvelle présidente du Front reste inscrite dans la catégorie de l’extrémisme politique. L’écho xénophobe du vieux Front national est faible dans le discours prononcé à Tours par la nouvelle présidente qui veut engager la bataille contre le mondialisme (2).
Éloge de la France, dénonciation de l’argent-roi et de l’européisme, de l’injustice sociale et de « l’aveulissement de nos classes dirigeantes » ; apologie de l’État républicain et volonté de défendre l’indépendance et la souveraineté de la France par le protectionnisme, la relocalisation industrielle et la sortie de l’euro : voila qui annonce un programme politique complet, auquel les partis de droite et de gauche ne peuvent apporter aucune réponse de fond. Les oligarques répètent que ce n’est pas bien d’être protectionniste, ils tentent de faire peur en affirmant que l’explosion de la zone euro serait une catastrophe – mais la souffrance sociale et l’humiliation politique sont trop fortes pour qu’on écoute les responsables de la crise dont la France est accablée.
Nous allons pour notre part examiner le programme de Marine Le Pen sans frayeur et sans la moindre complaisance, loin des polémiques et des supputations électorales, en le prenant tout simplement au sérieux.
Bertrand RENOUVIN
(1) cf. « Une tragédie bien française, Le Front national contre la nation », Ramsay, 1997.
(2) Entretien accordé à Philippe Cohen sur Marianne2 : http://www.marianne2.fr/Marine-Le-Pen-a-Vanneste-l-UMP-n-a-pas-d-ennemi-a-gauche!_a198003.html. Voir aussi le dossier publié par Marianne, n° 717 du 15 au 21 janvier 2011.