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Politique générale | La Nouvelle Action Royaliste

Adieu à Philippe Tesson par Gérard Leclerc

Politique générale |  mardi 7 février 2023 | Thème: politique
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Adieu à Philippe Tesson

 

Je ne puis cacher combien la mort de Philippe Tesson m’atteint personnellement, l’attention amicale qu’il n’a cessé de montrer à mon endroit me renvoyant à des souvenirs anciens C’est du début des années soixante-dix que datent mes premières rencontres avec celui qui était alors rédacteur en chef de Combat. Combat, un titre qui fait rêver encore aujourd’hui! N’avait-il pas été, au lendemain de la Résistance, le quotidien prestigieux où s’exprimaient Albert Camus, Raymond Aron, André Malraux et bien d’autres ? Ce fut, il est vrai, un moment assez bref, avec la dispersion d’une équipe divisée par les nouveaux enjeux de l’époque, notamment la guerre d’Indochine et la reconfiguration de l’Europe. Henri Smadja, en acquérant le titre, permit la continuité d’une aventure qui allait prendre un autre cours. La nomination en 1960 de Philippe Tesson, âgé de 32 ans, à la direction de la rédaction va lui conférer un nouvel élan, marqué par le sens du dialogue entre militants de causes opposées.

C’est ainsi que les deux complices Pierre Boutang et Maurice Clavel peuvent ferrailler sur la cause algérienne. Leurs démêlés peuvent être homériques, sans jamais rompre leur amitié. Ce fut le cas au moment des événements de 1968. À ce moment, Clavel qui s’exprime aussi dans Le Nouvel Observateur de Jean Daniel, entraîne le quotidien au sommet de la contestation, avec un Philippe Tesson totalement conquis. Avec lui, Mai 68 prend une allure d’épopée, dans une opposition directe au régime du général de Gaulle. L’épisode prit fin avec une tentative de candidature au Quartier latin, lors de législatives qui apportèrent une majorité écrasante au pouvoir. La période qui suit reste marquée pour nous par des signatures amies comme celles de Marc Valle, Philippe de Saint-Robert, Gabriel Matzneff. De ce dernier, j’ai souvenir d’un papier assez rude contre l’orientation soixante-huitarde du journal, l’écrivain ayant vécu très loin du théâtre des opérations sur le moment.

L’équilibre financier de Combat se trouve alors fragilisé. Son originalité ne correspond qu’à une frange minoritaire de public éclairé. Ce début des années soixante-dix marque donc mes premières rencontres avec Philippe Tesson. Il publie quelques tribunes libres que je lui propose. Ce qui me vaut une aventure singulière. À la suite d’une de ces tribunes, je suis en effet, gratifié de pas moins de sept doubles pages de réponse, sous la signature de Baruch, pseudonyme de Charles Raymondon, ancien religieux mariste et porteur de toute l’histoire du catholicisme d’après-guerre. Il fallait Combat pour se permettre une telle fantaisie. Baruch eut ensuite l’idée d’organiser un débat, en ma présence, entre le traditionaliste Louis Salleron et le dominicain maoïste Jean Cardonnel au domicile du premier à Versailles. Ce fut une soirée mémorable, retranscrite aussi interminablement dans les pages du journal.

Un journal qui nous était devenu plus que familier. À ce moment, notre camarade regretté Philippe Houbart y avait fait son entrée, et nous avions, grâce à lui, tous les échos de la rédaction, avec les portraits contrastés de ses journalistes. Philippe Dilmann n’y avait-il pas organisé une réunion de section au cours de laquelle Philippe Tesson nous brossa le plus brillant tableau des mœurs de la presse parisienne ? Moi-même, je rendais visite à Tesson dans les locaux du journal, pour des conversations très amicales. Il n’ignorait rien de mes engagements pour lire d’ailleurs notre propre organe d’expression. C’est ainsi qu’il m’annonça un jour qu’il préparait un autre quotidien où j’aurais, si je le voulais, « toute ma place ». Ce fut, en effet, en 1974 la création du Quotidien de Paris, avec l’équipe de Combat élargie que l’intéressé me décrivait comme un compromis entre intellectuels préoccupés de refaire le monde et professionnels plus rigoureux et terre à terre.

Ce n’est qu’en 1980, en recherche de situation, que je répondis à cette proposition. Je n’eus pas à me perdre en explications. Dans son bureau de la République, Tesson me posa d’emblée la question: « Jean-Paul II va venir à Paris dans 15 jours. Ça vous intéresse? » Et comment! Je fus embauché sur-le-champ et n’eus aucune difficulté à me faire admettre de mes collègues. Dès la première semaine Tesson me faisait signer l’éditorial de première page. Les années passées au Quotidien de Paris m’ont beaucoup appris avec les exigences d’une attention journalière à l’actualité, la possibilité d’une proximité avec les personnalités les plus diverses, du monde de la politique à celui de la justice, de l’Église ou de l’intelligentsia. Il est vrai que, de ce dernier point de vue, j’étais déjà servi par tout le travail d’ouverture pratiqué dans notre mouvance royaliste. Je ne puis dresser ici un bilan complet d’une activité qui, à certains moments, me conduisit au bord de l’épuisement, notamment lors des quatre années où j’eus à traiter du dossier sur le projet de grand service national destiné à absorber l’enseignement catholique. Ce fut une rude bataille dont j’essayais de rendre compte avec toute l’honnêteté possible. J’avoue en avoir été récompensé par l’accueil que me fit Alain Savary, l’ancien ministre de l’Éducation nationale, lorsque je vins lui rendre visite à l’occasion de la préparation d’un livre sur le sujet: « Je suis content que ce soit vous qui fassiez le récit de toutes ces années! » Pourtant, je représentais un journal qui s’était distingué, dès le départ, par une franche opposition à François Mitterrand. Ce qui était d’ailleurs paradoxal de la part d’une rédaction qui avait voté massivement en sa faveur en 1981. J’aurai d’ailleurs avec le président une entrevue mémorable en 1985, ménagée par le cardinal Lustiger. Commencée dans un climat assez glacial, elle se poursuivit de façon nettement plus détendue lorsque je prononçai le nom de... Bertrand Renouvin.

La confiance que m’avait généreusement accordée Philippe Tesson me permit ainsi d’élargir mon tissu de relations, notamment avec le monde religieux, allant jusqu’à attirer l’attention de Jean-Paul II lui-même, lors de la publication de l’ouvrage que j’avais consacré à son itinéraire intellectuel, pastoral, voire politique. Je pourrais aussi témoigner de la satisfaction d’avoir côtoyé le cher Paul Guilbert, auquel me liaient des convictions communes. Mais il faut bien m’interroger finalement sur la nature des relations privilégiées contractées avec cette personnalité hors norme qu’était Philippe Tesson. Une multitude de témoignages après son décès a bien mis en évidence ce caractère sans équivalent, cet esprit brillant, foncièrement indépendant, ce passionné de théâtre qui adorait la mise en scène jusque dans ses conseils de rédaction, cette sorte de mécène de la presse auquel tant de jeunes talents doivent leur essor. Son adversaire Laurent Joffrin évoque le hussard, le mousquetaire, « une sorte de Cyrano ». Oui, il fut tout cela et encore plus. Je m’interroge encore sur la forme d’empathie qu’il pouvait avoir à l’égard de nos propres convictions, lui qui fut si longtemps notre abonné et même notre souscripteur.

Mais au terme d’une vie si pleine, je ne puis dire que mon estime, ma reconnaissance, en assurant son fils Sylvain et ses deux filles de toute mon amitié. ■