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Politique générale | La Nouvelle Action Royaliste

Georges Bernanos vu par Jean Loup, par Gérard Leclerc

Politique générale |  mercredi 3 janvier 2024 | Thème: politique
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L’heureuse réédition de l’ouvrage que Jean-Loup Bernanos avait consacré à son père en 1986 a d’abord eu la vertu de me replonger dans des souvenirs personnels. Depuis l’adolescence, l’auteur de Sous le soleil de Satan m’accompagnait comme un ami proche, mais je n’aurais jamias imaginé que je rentrerais un jour en contact avec sa propre famille ! Oui, Jean-Loup, son fils cadet, était presque mon voisin du quartier des Batignolles et des liens se sont tout de suite établis entre nous, au point de me rendre une vie et une œuvre encore plus familières. C’est ainsi que, par lui, je fis la connaissance de Mgr Daniel Pézeril, alors évêque auxiliaire de Paris, qui avait assisté Georges Bernanos dans ses derniers instants. C’était un témoin exceptionnel de l’écrivain, mais aussi de l’histoire récente de l’Église. Il devait, un jour, me faire le compte-rendu circonstancié des événements de Mai 68 dans le diocèse de Paris. C’était, par ailleurs, un bon connaisseur du milieu royaliste. Il avait connu le jeune Sadi Couhé, alias Pierre Debray, dans sa période progressiste et se trouvait même dépositaire d’un secret sur son activité de résistant.

 

Mais d’autres souvenirs me poursuivent, telle la mémoire d’Anne Caudry, fille de Jean-Loup et de Brigitte Bernanos, actrice prometteuse, qui avait incarné à l’écran l’inoubliable personnage de Blanche de la Force, l’héroïne de Dialogues des carmélites. Je lui associe forcément une autre mémoire, celle de notre ami le Père Dominique Chéreau, prodigieux apôtre du quartier voisin, que j’avais eu le bonheur de présenter à la famille. Plus tard, Yves Bernanos, le frère d’Anne lui consacrerait un film précieux. C’est dire à quel point ma rencontre avec Jean-Loup avait été marquante. Et lorsqu’il publia Georges Bernanos à la merci des passants, je ne pus que me saisir d’un tel document pour rentrer encore mieux dans l’intimité de mon écrivain de prédilection. Le titre même indiquait l’originalité du livre, cette volonté d’être au plus proche des gens ordinaires, au-delà des spécialistes de la critique et de l’érudition.

 

Avec la distance (35 ans), le livre a gardé cette fraîcheur familiale, qui ne le rend nullement obsolète par rapport à toutes les biographies déjà parues (Max Milner 1967, Jean Bothorel 1998, Philippe Dufay 2013, François Angelier 2022), sans compter les études d’Albert Béguin ou de Jean de Fabrègues. Ce que Jean-Loup Bernanos désire nous donner à comprendre, c’est l’homme même, sa personnalité dans sa profondeur et sa complexité, ainsi qu’un fils est sans doute le plus à même de la ressentir avec ses aspects parfois déroutants : « Le vrai Bernanos, est-ce cet hidalgo fougueux, gai et fier, au rire d’enfant, ou cet homme en proie à des angoisses nocturnes ? Est-ce ce prophète tonnant, qui frôle la démesure, ou cet ami paisible qui séduit tant de gens par sa gentillesse ? Est-ce le spontané pourtant si lucide ? Ce solitaire que d’aucuns disent misanthrope, ou cet écrivain qui ne veut écrire que dans les cafés pour rester en contact avec les visages humains ? Cet itinérant perpétuel d’aventures lointaines, ou ce paysan qui a tant aimé la douceur du foyer et la bonne terre campagnarde ? »

 

Le récit déployé sur presque 800 pages ne fait que corroborer ce portrait tout en contraste. Le moins qu’on puisse dire est que le personnage de Bernanos n’a rien de conformiste. Le jeune homme, camelot du roi, se distingue avec ses amis les plus chers comme « homme de guerre » : « C’était la rude et saine camaraderie des combats au Quartier Latin, où, maître du boulevard Saint Michel, on allait la fleur à la bouche, l’insigne du lys à la boutonnière, la matraque au poing, suivi par les femmes et les camarades éblouis. » On peut sans doute se demander si ce jeune activiste correspond vraiment à l’écrivain engagé dans les défis d’une gravité extrême qui menèrent à la Seconde Guerre mondiale. Mais dès le départ, c’est bien un caractère qui s’affirme : « Comme enfant, comme chrétien, comme homme, il n’a pas attendu d’être contraint, il s’est toujours engagé, jeté en avant, à ses risques et périls, y compris celui de se tromper parfois ou d’être injuste, parce qu’il allait d’abord à l’essentiel. On ne fait pas fortune avec un tel programme. C’est pourquoi les volontaires sont rares. »

 

Mais, dès l’adolescence il apparaît que le futur auteur des Grands cimetières sous la lune est comme marqué par la blessure de l’infini,  appelé à une vocation supérieure, qui n’est pas sans rapport à la prêtrise. Ce qu’il formule dans les admirables lettres écrites à son confident l’abbé Lagrange : « Ce que je veux dire (…) c’est que je reconnais plus que jamais que ma vie, même avec la gloire, qui est la plus belle chose humaine, est une chose vide et sans saveur quand on n’y mêle pas, toujours, absolument, Dieu. » Toute l’œuvre du romancier se trouve ainsi mise comme en projet, justifiant d’avance le verdict du grand théologien von Balthasar, tout comme celui d’André Malraux, affirmant qu’il s’agit de notre Dostoïevski !

 

Par rapport aux autres biographes, Jean-Loup Bernanos se distingue comme témoin direct, dépositaire d’une mémoire familiale. Il n’avait que 15 ans à la mort de son père, mais survivant à ses deux frères, Yves et Michel, il bénéficie aussi des archives familiales, riches de notations directes qu’il peut citer abondamment dans ce livre qui prend souvent le ton de la confidence. Je signalerai ainsi ce qui concerne les liens tumultueux du père Bruckberger, surnommé l’aumônier de la Résistance, avec l’intéressé. Au terme d’une vie que je n’ai même pas voulu résumer ici dans ses rebondissements, avec cette étrange propension à l’exil de cet amoureux de son pays, faut-il conclure que Georges Bernanos ne nous laisse qu’un testament amer alors que nous sommes tellement, aujourd’hui, en attente d’un espoir de renouveau ? Laissons-lui quand même le dernier mot : « Celui qui, un soir de désastre, piétiné par les lâches, désespérant de tout, brûle sa dernière cartouche en pleurant de rage, celui-là meurt, sans le savoir, en pleine effusion de l’espérance. L’espérance, c’est de faire face. » C’est aussi le désespoir surmonté !

Jean-Loup Bernanos, Georges Bernanos à la merci des passants, Le Passeur éditeur.