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Politique générale | La Nouvelle Action Royaliste

La chasse au masculin ?

Politique générale |  mercredi 10 avril 2024 | Thème: politique
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En 2000, 32 ans après mai 1968, je tentais dans L’amour en morceaux ? de définir en quoi les lignes avaient bougé, au point que la société avait subi un ébranlement profond. Non pas tellement sur le terrain économique et social, mais dans ce qu’on appelle désormais le domaine sociétal : « Avec l’amour humain, la conjugalité, la filiation, n’était-ce pas tout qui vacillait, et d’abord ce rapport premier originel où se fonde l’existence de toute personne ? » (1) Pour l’essentiel, il me semble que mon analyse était plutôt pertinente. Pourtant, si j’avais à rééditer le livre, il me faudrait le compléter, en tenant compte de tout ce qui s’est passé depuis et qui a contribué à poursuivre cette transformation dans un sens qui n’est pas forcément positif, du point de vue de l’équilibre des mœurs et de la solidité du lien social.

Je pense notamment à ce qui est survenu dans l’ordre du combat féministe. Si une étude assidue du bréviaire de Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, m’avait conduit à une sérieuse perplexité sur une émancipation qui passait par le déni d’une symbolique proprement féminine, je n’avais pas prévu qu’un néo-féminisme agressif aboutirait à une véritable « chasse au masculin ». Noémie Halioua, dans un essai roboratif, dénonce cette agressivité, en montrant jusqu’où elle peut aller « Le mâle est un accident biologique, le gène Y (mâle) est un gène X (femelle) incomplet, ce qui signifie qu’il a un jeu de chromosomes incomplet. En d’autres termes, le mâle est une femelle imparfaite, un avorton ambulant expulsé au stade génétique. » Cette citation, l’auteur la tire d’un pamphlet publié à New York, sous la signature d’une certaine Valérie Solanas, en 1968. Je n’en avais pas eu connaissance sur le moment. Même si je l’avais lu, aurais-je pensé qu’une telle démesure disqualifiait la dame, qui avait perdu ses chances de faire école ? Je me serais trompé gravement. Noémie Halioua montre qu’à partir d’un fan club, la contagion s’est développée à grande vitesse : « Il ne s’agit plus de quelques provocatrices biberonnées au ressentiment, mais de hordes revanchardes qui ont décidé de faire payer le sexe masculin par tous les moyens. Elles sont nombreuses, désormais, à se donner pour mission de soumettre ceux qui ont soumis, de leur rendre la monnaie de la pièce à l’échelle de l’histoire, de reproduire sans fin le schéma de la guerre des sexes plutôt que de s’employer à y mettre un terme. »

Certes, on peut reprendre tout le dossier historique de la condition féminine et on y trouvera bien des raisons d’alimenter la vindicte anti-mâle. Encore faudrait-il tenir compte d’une complexité qui rend les choses plus compliquées. Sollers, que je citais dans notre dernier numéro, n’avait pas complètement tort de prétendre qu’à un certain point « le monde avait toujours appartenu aux femmes » même si c’était dans le secret des foyers domestiques. Reste que les conditions de la vie contemporaine ont redessiné complètement les fonctions et les rôles. C’est à partir de là qu’une discussion éclairée doit être possible, sauf à vouloir aggraver cette guerre des sexes en toute inconséquence pour notre avenir commun.

L’attention a été attirée ces dernières années sur le phénomène des féminicides qui provoquent une juste indignation. Mais il y aurait lieu de s’interroger aussi sur d’autres phénomènes qui touchent la condition masculine. Ainsi, le nombre de suicides chez les hommes est de trois fois supérieur à celui des femmes. De même, ce sont bien les hommes qui assument les tâches les plus lourdes et les plus pénibles. Noémie Halioua cite à ce propos des statistiques rapportées par Aziliz Le Corre dans le Figaro : « Ils représentent 97% des conducteurs de poids lourds, 98,5% des ouvriers du bâtiment et 97% des ripeurs, 92% des livreurs de plateformes, etc. » Il ne s’agit pas, bien sûr, d’établir un concours entre les sexes mais de prendre une mesure plus équitable des réalités, à l’encontre des réquisitoires unilatéraux.

Le mérite essentiel de l’essai de Noémie Halioua est de revenir sur la question de fond, qui était déjà au cœur de la pensée de Simone de Beauvoir. Elle concerne entièrement ce qu’on peut appeler la symbolique féminine liée étroitement aux échanges avec l’autre sexe et la possibilité même de faire droit à l’amour de l’homme et de la femme. C’est cette possibilité qui est niée par notre néo-féminisme qui dénonce une imposture derrière laquelle se cacherait une emprise redoutable. Emprise, le mot est d’actualité ! Il a même été utilisé, non sans imprudence, par Emmanuel Macron pour requalifier juridiquement le viol.

C’est s’aventurer dans le domaine le plus délicat, sûrement plus à la portée des génies de la littérature que des procureurs prompts à utiliser le vocabulaire de la psychiatrie. « Culpabiliser l’emprise à la moindre occasion, qualifier de “pervers narcissique” le premier morveux, psychiatriser tout sagouin comme bourreau des femmes, revient in fine à saboter la possibilité d’unir les sexes dans l’amour, les appeler à se verrouiller à double tour pour ne plus se retrouver. » Combien on préfère à cette exécution sommaire la manière dont un Stefan Zweig décrit les méandres de l’amour : « Zweig décrit finement cette rage qui consume sans raison apparente, ce moment de bascule à la rencontre d’un autre qui fait sauter les verrous intérieurs. Il décrit les relents de l’humanité dont l’amour passionnel est une composante universelle, ce plaisir qui rend la douleur possible, cette démission des résistances intérieures… »

Mais il y a l’autre aspect : « les plaisirs, les joies profondes, les extases, les instants de grâce, l’exaltation qui s’empare alors de l’amoureux tout entier » Non, tout cela se trouve rejeté désormais, au profit d’un combat dans l’arène politique : « Pour les pourfendeuses de l’amour, il n’y a pas de lieu qui mérite d’être protégé des guerres politiques, pas de terrain qui mérite d’être sanctuarisé. Le moindre battement de cœur est un objet de lutte collective et la moindre aspérité individuelle devient suspecte. »

Néanmoins, peut-on objecter, cette défense de l’intériorité, du sanctuaire privé, a aussi une dimension politique, car c’est bien l’avenir de la cité qui se trouve en danger lorsque l’amour humain éclate en morceaux, le lien social se trouve définitivement rompu, l’avenir généalogique gravement compromis. De ce point de vue, on assiste à un étrange face-à-face. Il semble bien que les représentantes du néo-féminisme militant à l’extrême gauche, expriment leur solidarité avec les populations issues de l’immigration marquées par les mœurs islamiques. Or l’islam opère autour de la femme une garde farouche, exprimée notamment par le costume et le voile qui dérobe jalousement le corps féminin au regard masculin. Comment concilier cela avec la déconstruction féministe ? Tôt ou tard, il faudra bien revenir à une revalorisation symbolique de la femme qui nous délivrera de tous les fantasmes qui barrent - faut-il dire dramatiquement ? - notre avenir. Puisse l’amour, qui meut le soleil et les étoiles, dissiper ce nuage sinistre de la guerre des sexes !

Gérard Leclerc.

Noémie Halioua, La Terreur jusque sous nos draps, Plon.

(1). L’Amour en morceaux ?, Presses de la Renaissance, 2000.

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