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Politique générale | La Nouvelle Action Royaliste

Sylvain Tesson, icône de la réaction… par Gérard Leclerc

Politique générale |  mercredi 31 janvier 2024 | Thème: politique
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Le 18 janvier dernier, Libération publiait une pétition de protestation « contre Sylvain Tesson comme parrain du printemps des poètes ». Le printemps des poètes est une manifestation créée il y a 25 ans à l’initiative de Jack Lang, qui se déroule au Québec et en France. Elle a pour but d’inciter le plus grand nombre à goûter et à célébrer la poésie, un peu sur le modèle de la fête de la musique créée elle aussi par le ministre de la Culture de François Mitterrand. En dépit des critiques dont il est l’objet, le printemps a le mérite de faire sortir la poésie des cercles restreints d’initiés. Mais en cette nouvelle année, une violente polémique est venue perturber l’ordonnancement de la fête au point de pousser à la démission Sophie Noleau, sa directrice artistique. La pétition de Libération est, en effet, d’une violence extrême. Elle s’en prend au parrain désigné pour l’événement, Sylvain Tesson. Elle a été signée au total par quelques 2000 « poètes, poétesses, acteurs et actrices de la scène culturelle », dont il faut bien dire qu’il s’agit pour l’essentiel d’illustres inconnus, ce qui ne préjuge pas, bien sûr, de leur talent éventuel. Mais pour l’occasion, ils se distinguent pour leur vindicte à l’égard d’un écrivain : « Nous alertons sur le fait que la nomination de Sylvain Tesson comme parrain du printemps des poètes 2024, loin d’être contingente, vient renforcer la banalisation et la normalisation de l’extrême droite dans les sphères politique, culturelle, et dans l’ensemble de la société. En fermant les yeux sur ce dont cet écrivain est le nom, la directrice Sophie Noleau et son conseil d’administration témoignent de cette normalisation au sein des institutions culturelles, que nous rejetons fermement. Elle avait déjà, en 2018, inauguré la manifestation par un défilé de la Garde républicaine. » Diable, la garde républicaine !

 

L’essentiel de l’argumentation contre Sylvain Tesson est tiré d’un ouvrage paru au Seuil en 2023 Réactions françaises. Enquête sur l’extrême droite littéraire, où l’intéressé était épinglé aux côtés de Michel Houellebecq et de Yann Moix par le journaliste François Krug. J’avais lu le livre sur le moment, et il m’avait inspiré quelques doutes sur les procédés de l’enquêteur. Sylvain Tesson a incontestablement des penchants de droite, mais sa personnalité est à l’opposé de celle d’un doctrinaire politique. Le prendre pour cible, c’est introduire dans la critique littéraire des oukazes idéologiques. Sur ce point, le romancier « de gauche » Nicolas Mathieu a très bien réagi en revendiquant le plaisir de lire Céline ou Paul Morand, par ailleurs à mille lieues des sentiments exprimés par l’auteur d’Avec les fées.

 

Il semble bien que la rédaction de Libération ait été gênée à la suite des nombreuses protestations suscitées par la pétition. Elle a donc voulu ouvrir le débat dans ses propres pages à un adversaire et à un défenseur de Sylvain Tesson. J’ai trouvé le propos du premier plutôt « tordu », je m’en excuse. Si j’ai bien compris Claro, la nomination de Tesson constituait une provocation afin de faire monter la température et obliger des gens indignés à protester et se trouver ainsi exposés à la colère d’une certaine presse (Marianne, Valeurs actuelles, Le Figaro, Le JDD) enfourchant « son cheval de bataille favori et criant à la censure médiatique et populaire ». En d’autres termes, la victime dans cette affaire ce n’est pas le parrain du printemps des poètes mais ceux qui l’ont justement dénoncé comme suppôt de l’extrême droite. René Girard nous a appris qu’aujourd’hui la position la plus avantageuse était celle de la victime, parce qu’elle conférait tous les droits. Donc il convenait au plus vite de dépouiller Sylvain Tesson de sa situation enviable pour la fourguer à ses adversaires.

 

Fort heureusement, Libération a permis à William Marx, professeur au Collège de France d’apporter la réplique et il s’y est employé de la meilleure façon : « Tesson ferait plutôt mieux l’affaire que d’autres : il est populaire, il a écrit sur Homère et sur Rimbaud, il offre la rêverie du voyage, il parle de la nature et des animaux. Il invite au dépaysement. Pour une foule de gens ignorants de la poésie, Sylvain Tesson ouvre, qu’on s’en désole ou non, à une vision poétique du monde, à une stase hors du quotidien, autrement dit à un certain état poétique, comme eut dit Valéry. » Au terme, le jugement tombe, sévère mais juste : « Les mots de cette tribune ont-ils un autre sens que le ressentiment et la chasse aux sorcières ? » Et encore : « La poésie mérite mieux que cette haine et que cette police politique de la pensée, dont les commissaires m’effraient à gauche comme à droite. »

 

Depuis la démission de Sophie Noleau, il est apparu que l’objet de la polémique s’était déplacé. Car Libé l’avait indiqué : « La vraie question c’est qui a nommé Sylvain Tesson parrain du printemps des poètes ? » La vraie cible ce n’était donc pas l’écrivain, mais l’institution et sa responsable. Il n’empêche que l’incident en lui-même impose réflexion. Les pétitionnaires avaient le droit d’exprimer leur désaccord avec un écrivain d’une certaine sensibilité. Ils le revendiquent à juste raison. Mais on est aussi en droit de s’interroger sur la virulence de certaines accusations. Ainsi accuser Sylvain Tesson, comme le fait Rim Battal de « charrier tout un imaginaire néocolonialiste, misogyne et raciste », cela dépasse les limites d’une critique légitime (Libération 27 janvier). C’est friser le procès totalitaire avec des moyens déloyaux. Et cela se rapproche de la police de la pensée, dont Orwell a montré dans 1984 tous les ressorts pervers.

 

Certes, le débat en politique est une nécessité absolue. Encore fait-il qu’il obéisse à certaines règles, avec le souci de servir le bien commun. Et j’ajouterais un certain climat. Il m’arrive d’être inquiet de la montée en puissance de certains désaccords qui convoient une atmosphère de guerre civile. Je sais bien que certaines questions portent en elles-mêmes une incandescence qu’il est presque impossible de limiter. Raison de plus pour tenter de revenir à une certaine vertu de prudence, sans laquelle il n’y a pas d’armistice social. Cela est vrai aussi dans le domaine littéraire où la police de la pensée peut opérer des ravages. Interdire, même moralement, à un Sylvain Tesson d’exprimer sa poésie du monde, c’est porter atteinte à la liberté de l’esprit. Laissons-le rêver pour nous au monde des fées : « Le merveilleux émane des choses. La grâce les surplombe. Le merveilleux est contenu dans le monde car il en est la source. Le merveilleux rayonne. La grâce ruisselle. »